À l'origine de la doudoune

Au début du XXe siècle, avec le tourisme de montagne, des fabricants de matériel se développent. C’est le début d’une mode d’hiver, d’abord pensée pour une élite. Les produits sont chers et peu adaptés aux conditions climatiques.

Dans l’entre-deux-guerres, des alpinistes amateurs cherchent alors de meilleurs équipements. En Europe, deux hommes créent simultanément l’ancêtre de la doudoune. Ils s’inspirent des sacs de couchage pour en faire une veste rembourrée de duvet. "Un Britannique, George Ingle Finch, un des  pionniers de l'alpinisme, n'hésite pas à recourir à de l'équipement beaucoup plus technique que les gentlemen, qui d'habitude, mettent un point d'honneur à gravir les sommets avec art et en ayant recours à la technique moindre", explique Régis Boulat, maître de conférence en histoire économique à l'Université de Haute Alsace et auteur de l'article  "Des Alpes à la Fashion Week : l'odyssée de la doudoune".

En France, c'est une légende de l'alpinisme française, Pierre Allain, qui s'équipe aussi d'une veste rembourrée. Il la vend dans son petit atelier parisien. Elle accompagnera même les alpinistes de la première expédition française pour  l'Himalaya en 1936.

La doudoune devient populaire avec le développement d’une marque française, Moncler, qui va produire des équipements de montagne. L’origine du nom vient de “l’abréviation de Monestier-de-Clermont, qui est une petite ville aux portes du Trièves, entre Grenoble et Trièves, où cette aventure commence”, détaille le spécialiste.

Un vêtement nouveau

On est dans la période des  Trente Glorieuses, le pouvoir d’achat augmente. Les loisirs et les vacances des Français offrent des opportunités aux industriels, souligne Régis Boulat. “Au fur et à mesure que les Français découvrent les joies de la montagne, Moncler leur propose, assez rapidement, un vêtement un peu nouveau, différent : la doudoune. Vêtement pour lequel Moncler dépose des brevets, il y en a plusieurs en 1954, 1955, avec plusieurs variantes, manches en tricot, le corps en duvet.”

Pour se faire connaître, Moncler s’associe à plusieurs expéditions sportives comme l’ascension du Karakorum en 1954. En 1968, elle sponsorise et habille toute l’équipe de France de ski alpin à l’occasion des  Jeux olympiques de Grenoble. Les années 1960 représentent le premier basculement selon Régis Boulat. “Le vêtement technique des alpinistes devient progressivement un phénomène de mode.”

L'influence des "paninari"

Ça, c'est pour la partie sport. Mais dans les années 1980, la doudoune arrive en ville. Dans les rues de Milan, elle est portée par un groupe de jeunes Italiens, qui détonne dans le paysage culturel : les “paninari”. “Paninari” veut dire “sandwicherie” en italien et c’est une référence au premier fast-food qui ouvre à Milan devant lequel ils se retrouvent pour traîner.

"On a des gamins qui sont épris de culture américaine, qui ont des moyens importants et qui n'hésitent pas à détourner des pièces de vestiaire de leurs parents, qui, évidemment, roulent en Vespa, et aiment les couleurs vives", détaille Régis Boulat.

Ils ont grandi dans l’Italie consumériste de Berlusconi, ne quittent pas leurs jeans Lévis, ont des Timberland aux pieds et s’emmitouflent dans des doudounes Moncler. Des magazines, des émissions de télévision parlent d’eux. Les Pet Shop Boys, un groupe de musique pop britannique en vogue, leur consacrent même une chanson.

La doudoune dans tous ses états

La tendance s’exporte au-delà des frontières italiennes. En France, des créateurs de mode s’y intéressent. En 1992,  Chantal Thomass finit son défilé avec une création en collaboration avec Moncler plutôt audacieuse : une robe de mariée matelassée.

Mais le milieu des années 1990 met un coup d’arrêt au développement de la marque. Plusieurs hivers sans neige se succèdent, la matière polaire se développe, et des problèmes bancaires apparaissent. Elle est rachetée en 2003 par l’Italien Remo Ruffini. Qui n’est autre qu’un ancien “paninaro”, familier des heures de gloire de la doudoune matelassée. C’est lui qui fait prendre à la marque un virage encore plus serré vers le marché du luxe.

Finie la vente dans les magasins de sport, il développe la vente dans ses propres boutiques, et la marque s’associe à des grands créateurs. “Le début des années 2010, c'est un autre point de bascule en quelque sorte, c'est-à-dire le passage dans quelque chose qui est global, qui est devenu l'objet, tant désiré, et pour lequel le marché est également devenu segmenté”, affirme Régis Boulat.

Avec un quotidien de plus en plus marqué par les guerres, les épidémies et le changement climatique, la doudoune représente aussi un symbole : celui d’un cocon personnel dans lequel on peut se réfugier.