La communauté littéraire de TikTok booste les ventes de livres et transforme les usages, pour le meilleur comme le pire.
Quelque soit ses centres d’intérêts, on peut être sûr de trouver une communauté dédiée sur TikTok. Si les amateurs de cuisine ont ChefTok et les cinéphiles MovieTok, les passionnés de littérature se retrouvent en masse sur BookTok où ils partagent leurs lectures préférées, analysent les récits et présentent leurs dernières acquisitions. Aujourd’hui, le hashtag #BookTok réunit plus de 180 milliards de vues et 32 millions de vidéos sur la plateforme. Des chiffres impressionnants qui permettent à cette communauté d’influencer l’économie du livre tout comme les usages des lecteurs.
Les bienfaits de BookTok
Devenues populaires pendant la crise du Covid, les vidéos BookTok ont révolutionné le secteur de l’édition. Ce hashtag devenu viral dans de nombreux pays, dont la France, a permis l’explosion des ventes de livres appartenant aux genres fantasy, romance et jeunes adultes, soit les genres les plus mis en avant par les créateurs sur la plateforme. Un enthousiasme qui a permis à certains auteurs de connaître un succès fulgurant. C’est notamment le cas de Madeline Miller et de Rebecca Yarros dont les romans, Le Chant d’Achille et Fourth Wing, particulièrement appréciés sur TikTok, sont devenus des best-sellers. Du côté des auteurs français, c’est le même constat. Tout sur nous de Stéphane Ribeiro paru en 2007 s’est par exemple vendu à 25 000 exemplaires en 2021 à la suite de partages sur BookTok.
Véritable aubaine pour les éditeurs qui commencent à collaborer avec des créateurs de contenus afin de mettre en avant ces romans, BookTok bénéficie aussi aux utilisateurs de la plateforme qui souhaitent renouer avec la lecture ou trouver une communauté. Une étude américaine déclare que 48% des utilisateurs de TikTok lisent plus de livres depuis leur découverte de BookTok. Même son de cloche en Angleterre où 59% des jeunes interrogés par l’organisation professionnelle britannique estiment que la communauté leur a permis de « se découvrir une passion pour la lecture ». Cependant, cet enthousiasme est aussi décrié par un bon nombre de membres de la communauté.
La lecture, un loisir productif ?
Certains habitués du BookTok qui y avaient au début trouvé un safe place pour découvrir des auteurs et partager leurs lectures déplorent la course à la productivité qui semble s’y être installée au fil des années. Pour ces derniers, la communauté se concentre désormais sur le cumul des acquisitions et les records de lecture. Un des formats phares du BookTook est d’ailleurs le format « Wrap Up » dans lequel les créateurs partagent le nombre de livres qu’ils ont lu en un mois. De quoi culpabiliser ceux qui lisent moins et qui n’arrivent pas à atteindre des objectifs de lecture de plus en plus contraignants. En effet, certains lecteurs déclarent se sentir intimidés par la communauté car ils estiment lire trop lentement ou pas assez. C’est le cas d’un créatrice de 23 ans interrogée par le magazine Dazed qui est devenue virale en rappelant que la lecture n’était pas un sport de compétition. Pour elle, le problème vient du fait qu’une grosse partie du BookTok se concentre sur « la quantité de livres lus, possédés et achetés », ce qui implique un mode de vie que peu de personne peuvent atteindre puisqu’il faut du temps, de la place et de l’argent.
Dans sa vidéo « BookTok and overconsumption », la créatrice According to Alina explique qu’au fil des années, les vidéos critiques et les recommandations de livres ont été remplacées par des formats « haul » où les créateurs montrent la quantité de livres qu’ils ont acheté. Elle met ainsi en lumière les similarités existantes entre ces contenus et ceux mettant en avant les produits issus de la fast-fashion. De la même façon que les créateurs mode se sont tournés vers les marques de fast-fashion pour acquérir plus de vêtements afin de pouvoir produire plus de vidéos rapidement, une partie des BookTokeurs privilégient l’achat massif de livres pour créer davantage de contenus. Poursuivant cette logique, certains filment aussi des « un haul », un format dans lesquels ils se débarrassent de leurs livres achetés en grande quantité sous l’impulsion de la tendance, nourrissant au passage le cercle vicieux de la surconsommation.
Lire, une esthétique plus qu’un loisir ?
Au sujet de ces nouveaux usages, l’écrivain et ancien BookTuber Barry Pierce expliquait au magazine GQ, qu’intégrer la communauté était « comme entrer dans un univers parallèle où la lecture n'était pas seulement quelque chose de fun mais un style de vie, une esthétique où les gens s’identifiaient comme des « lecteurs ». L’idée derrière cela, c’est qu’au sein de certaines sphères de BookTok, la lecture s’éloigne de plus en plus de son statut de loisir pour devenir une esthétique. Il faut dire que la lecture a toujours été considérée comme un passe-temps plus « intellectuel ». Être perçu comme quelqu’un qui lit est donc parfois plus important que la lecture en elle-même.
Ainsi, les membres de la communauté sont poussés à vouloir lire davantage et plus rapidement. Pour ce faire, les vidéos de conseils pour apprendre à lire plus vite fleurissent sur la plateforme. Sur ces dernières, on encourage les lecteurs à arrêter de lire dans leurs têtes, à suivre leurs doigts ou diviser leur lecture en nombre de pages par jours. Des vidéos auxquels réagissent certains membres de la communauté qui choisissent de s’en moquer et de faire les choses à leur façon.
Evidemment, BookTok ne manque pas d’aspects réjouissants et de créateurs de qualité. Reste à ne pas oublier que la lecture n’a pas forcément d’objectif si ce n’est de se plonger dans un univers et déconnecter.
Références