Guérir de la psychanalyse
Dans le monde des psychothérapies, la psychanalyse tient une place à part. D’abord par les questions qu’elle soulève : est-elle vraiment une thérapie, ou plutôt un outil de connaissance de soi qui peut avoir des bénéfices thérapeutiques ? Ensuite, par les agacements qu’elle déclenche : elle est l’approche qui a suscité le plus grand nombre de critiques et de détestations. Écoutez un peu…
Nabokov soupire : « La psychanalyse, cette application de vieux mythes grecs sur les parties génitales… » Karl Kraus ironise : « Une maladie qui se prend pour son remède… » Cioran implore : « Délivrez-nous de la psychanalyse, nous nous délivrerons ensuite des maux dont elle parle… » Les analystes voient dans ces vacheries la preuve qu’ils dérangent ; mais déranger ne signifie pas que l’on est forcément dans le vrai ! Et puis, la psychanalyse n’est plus aussi dérangeante aujourd’hui qu’elle l’était au moment de sa naissance, au XIXe siècle.
Pour autant, ces critiques me mettent mal à l’aise, moi qui ne suis pas psychanalyste. Même si elles sont en partie fondées. Par exemple, en tant que soignant, je constate que les données scientifiques sur les bénéfices thérapeutiques de la psychanalyse sont médiocres. Si on va en thérapie avec des symptômes à soigner, d’autres méthodes semblent préférables
C’était déjà annoncé par les maîtres de la discipline eux-mêmes. Lacan présentait la guérison comme « un bénéfice par surcroît » de la cure psychanalytique. Freud avait cherché au début à évaluer ses résultats, mais comme ils étaient décevants, il a très vite recommandé de ne plus le faire. Il écrivait par exemple, dans une lettre à son disciple Carl-Gustav Jung : « J'ai considéré comme plus prudent de ne pas trop m’appuyer sur les succès thérapeutiques, sinon on aura vite rassemblé un matériel apte à montrer que le résultat est très mauvais, ce qui ferait du mal à la théorie... »
Bon, d’un autre côté, j’ai beaucoup d’amis psychanalystes dont je vois bien qu’ils font du bon boulot ; et j’ai aussi entendu beaucoup de patients me dire que la psychanalyse les avait aidés. L’écrivain et psychanalyste Philippe Grimbert a eu un jour cette formule : « la psychanalyse ne guérit pas, elle sauve. » C’est joliment dit, pour raconter comment la connaissance de soi qu’elle propose peut apprendre, par des voies détournées, à pactiser avec ses symptômes, et à passer à autre chose…
« À quoi ça sert de chercher à comprendre Pourquoi on dit ce qu'on dit À quoi ça sert de chercher à comprendre Quand c'est fini c'est fini Quand le soleil se lèvera demain Je serai déjà loin très loin Il faut se quitter en chemin N'y pense plus tout est bien… »
« N’y pense plus, tout est bien » : si on a ça dans la tête en post-thérapie, c’est que la thérapie a bien marché, quelle qu’elle soit, car on peut passer à autre chose que ses souffrances, et se remettre à vivre.
D’ailleurs, il y a un dernier côté qui rendrait presque sympathique la psychanalyse, même pour ses nombreux détracteurs : le fait qu’en cette époque trop pressée, elle insiste, depuis toujours, sur le fait qu’il faut se donner du temps pour changer ; le fait aussi qu’en cette époque obsédée par rendement et productivité, elle suggère de ne pas nous focaliser seulement sur des résultats à obtenir, mais d’ouvrir notre regard sur tout le reste.
On peut d’ailleurs noter un cousinage étonnant de la psychanalyse avec la pleine conscience : la méditation, elle aussi, nous encourage à prendre notre temps ; elle aussi nous pousse à d’abord comprendre et accepter nos inconforts et nos douleurs, avant de vouloir immédiatement et définitivement les supprimer.
Et l’une et l’autre nous disent ceci : prendre le temps de faire un détour par soi est aujourd’hui plus précieux que jamais. Mais ce détour ne doit pas se transformer en séjour permanent dans son nombril : il n’est réussi que s’il aboutit à l’oubli de soi, à la capacité à ne plus être esclave de ses inquiétudes et de ses pensées. Il n’est réussi, ce détour par soi, que s’il nous permet de retourner vers la vie avec curiosité et légèreté : la psy nous guérit, puis c’est la vie qui nous sauve…