Les chambres d’hôtes ne datent pas d’aujourd’hui, mais les plateformes – principalement Airbnb – ont totalement révolutionné cette pratique en assurant une mise en contact mondialisée de l’offre et de la demande.
- Thomas Aguilera Politiste, Maître de conférences, Professeur à Sciences Po Rennes.
- Francesca Artioli Politiste, Maîtresse de conférences à l’École d’urbanisme de Paris de l’Université de Paris-Est Créteil.
Les plates-formes introduisent une nouvelle manière d’habiter hors de toute proportion avec le périmètre de la cité qui est pourtant la base de toute politique. La croissance rapide des locations de courte durée bouleverse profondément la physionomie des centres ville voire notre rapport à notre espace aussi bien public que privé. Non seulement la chambre d’ami est devenue un centre de profit, mais elles ont fait disparaître le voisin parce qu’une grande partie de l’offre se trouve désormais dans des immeubles entiers disponibles toute l’année. Loin de l’économie du partage et d’une nouvelle manière de rencontrer d’autres habitants, l’effet de ce phénomène est “d’ubériser la ville” pour reprendre l’expression de Ian Brossat, adjoint au logement à la Marie de Paris.
Francesca Artioli "Le fait de louer un logement à la montagne ou à la mer existait avant la création des plateformes. Mais ce phénomène a pris, à la fois une ampleur nouvelle et puis des nouvelles géographies. [...] Toute la décennie 2010 a été marquée par une croissance très rapide de ce type de locations notamment vers les centres villes, les grandes métropoles, et puis aujourd'hui, aussi vers des petites villes touristiques, voire à la campagne, et donc ce phénomène qui n'était pas nouveau a été rendu possible par cette intermédiation numérique fournie par les plateformes qui se basent sur des effets des réseaux."
Thomas Aguilera "Le phénomène Airbnb renvoie effectivement à la question présente sur l'amplification, la massification du tourisme qui est liée aussi aux compagnies low cost d'aviation. C'est aussi un argument de ces plateformes de dire qu'ils contribuent à la démocratisation du tourisme en permettant à des populations moins aisées de circuler, de voyager et, en pariant sur le fait qu'il y a un besoin local auquel les hôtels ou les hébergements professionnels ne répondent pas."
De nouveaux conflits politiques sont ainsi apparus dans de nombreuses villes qui mettent aux prises l’industrie hôtelière, les associations d’habitants riverains, les organisations professionnelles du secteur du tourisme, les groupes d’hôtes (homesharers) et, enfin, les plateformes elles-mêmes.
Comment alors réguler cette pratique ? La plupart des tentatives se sont avérées infructueuses. Pourtant, le montant des amendes est conséquent (50 000€ pour une prestation irrégulière à Paris, par exemple, mais rarement prononcées, et donc ineffectives !). C’est de la régulation d’Airbnb qu’il sera question en compagnie de Thomas Aguilera, Politiste, Maître de conférences, Professeur à Sciences Po Rennes, et Francesca Artioli, Politiste, Maîtresse de conférences à l’École d’urbanisme de Paris de l’Université de Paris-Est Créteil.
Francesca Artioli "Il y a quelques statistiques européennes, produites par Eurostat, où l'on voit très bien que, en Europe, la France, l'Espagne et l'Italie, sont les trois grands marchés de la location de courte durée, ce qui n'est pas surprenant parce que ce sont trois grands pays touristiques, mais effectivement, ils représentent une part importante du marché européen."
Thomas Aguilera "Ce n'est pas Airbnb qui a "gentrifié" Paris ou des villes avec un patrimoine, mais, par contre, ça a renforcé des dynamiques très liées à la crise du logement et qui sont aussi liées à cette tension qui est historique depuis le XIXᵉ siècle, entre la visite temporaire, l'activité de tourisme et la résidence permanente qui renvoie à cette question : "à qui appartient la ville ?"
Francesca Artioli "Ce qui s'est passé dans les locations de courte durée, c'est qu'il y a un nombre très limité de plateformes qui occupent une position quasi monopolistique sur les marchés. Donc, elles ont une force économique, politique de ces acteurs, et, sont à la fois un système, un site internet, des algorithmes et des entreprises."
Thomas Aguilera "Cette plateforme (Airbnb), née à San Francisco il y a quinze ans, est en fait transnationale, et présente dans quasiment tous les pays du monde. Mais, c'est une plateforme, en réalité, sur laquelle il y a plus de nuitées, de chambres d'hébergement que les plus grandes chaînes d'hôtels, et ceci, sans posséder un seul logement. [...] En fait, c'est une plateforme qui a cette force politique et économique de pouvoir négocier sur des choses qu'elle ne détient pas."
Francesca Artioli "Il y a quelques travaux qui ont montré cette forme de standardisation des intérieurs, la standardisation des images, des photos et tout cet imaginaire lié à ce qui est un logement accueillant et comment il doit être meublé et décoré. [...] Ça renvoie à la question de savoir : "qu'est-ce qu'un logement ? Est-ce que c'est un droit ?". C'est à la fois un besoin universel, un droit social, et, c'est aussi, de plus en plus, un actif d'investissement pour certains, qui permet de générer des revenus, autrement dit, une financiarisation du rapport au logement."
Pour aller plus loin
- ➢ Pages de présentation de Thomas Aguilera : sur le site de SciencesPo (page du Centre d'études européennes et de politique comparée), son CV (site Academia), sur le site du laboratoire Arènes, UMR en sciences humaines et sociales, son portrait en vidéo (chaîne You tube d'Arènes).
- Ses publications : sur le site Academia (SciencesPo Rennes), sur Cairn.info.
- Réception du prix de la Fondation Caritas France 2016, pour sa thèse sur les squats et bidonvilles en France et en Espagne : Gouverner les illégalismes urbains. Les politiques publiques face aux squats et aux bidonvilles dans les régions de Paris et de Madrid.
- ➢ Pages de présentation de Francesca Artioli : sur Linkedin, sur le site du Lab'Urba, laboratoire d'urbanisme de l'Université Paris-Est, sur le site de l'Ecole d'Urbanisme de Paris.
- Ses publications : sur le site academia (UPEC), sur Cairn.info.
- Page de présentation de son ouvrage sur airbnb, La gouvernance urbaine à l'épreuve d'Airbnb. Locations de courte durée et groupes d'intérêt à Milan (éditions du PUCA, 2020).
- ➢ Page sur la société Airbnb.
- Articles et vidéos sur le phénomène Airbnb (site France info).
- Article sur la fiscalité des logements locatif s (site Moneyvox).
- Article, Au port de La Rochelle, le difficile contrôle des bateaux dits airbnb (Thomas Mankowski, 14/06/2023, Sud-Ouest).
- Article, A Orléans, la location de meublés touristiques type Airbnb explose (François Guéroult, 14/06/2023, France Bleu Orléans, Ici par France Bleu et France 3).
- Site de ParisVSBnb (cité).
- Site d' InsideAirbnb (en anglais), et le site veille carto, qui reprend les données d'Inside Airbnb.
- Page de Brian Chesky, créateur de Airbnb (cité).
- Pages de Meta, Uber et Deliveroo (cités).
Francesca Artioli "Les plateformes ont exercé des activités de lobbying, parfois en recrutant des anciens membres des cabinets de gouvernements, mais aussi du lobbying assez classique par des activités d'influence pour essayer de contrôler le cadre réglementaire qui leur était appliqué, parce que ces activités se sont développées dans une forme d'incertitude juridique."
Francesca Artioli "La transmission des données, mise en place en France, a offert quand même aux collectivités, un outil pour contrôler les activité des plateformes. Il faut dire que la France est un cas unique en Europe, où les plateformes ont été contraintes par la loi de transmettre leurs données."
Extraits musicaux
- Morceau choisi par Thomas Aguilera : " Ghost Town" par The Specials, 1981.
- Morceau choisi par Francesca Artioli : " Hotel California" par The Eagles, 1976
L'équipe
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