Des foulards rouges apparus dans le sillage de Mai 68 à l’accord de Nouméa de 1998, l’indépendantisme kanak s’affirme comme un combat politique et culturel majeur, qui lutte pour inverser les dynamiques de pouvoir à l'œuvre dans l’archipel.
- Christine Demmer Anthropologue, chargée de recherche CNRS au Centre Norbert Elias
- Isabelle Leblic Anthropologue, directrice de recherche émérite au CNRS
Il en est ainsi dans l’actualité, parfois certaines périodes sont marquées par des noms et des mots qui reviennent sans cesse. C’était le cas en France au milieu des années 1980 : caldoches et kanaks, Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, le RPCR et le FLNKS, la grotte d’Ouvéa et les accords de Matignon. Suivre les journaux, jour après jour, depuis la métropole, ne permettait souvent pas de comprendre l’enchaînement des événements et surtout les enjeux, qui eux s’inscrivent sur le temps long. Kanaky, Nouvelle-Calédonie, grand besoin d'histoire pour saisir la nature, la portée, l'ampleur du mouvement indépendantiste.
Aux origines du "réveil kanak"
Le "réveil kanak" est impulsé à la fin des années 1960, à l’initiative d’étudiants kanaks revenus de métropole profondément marqués par les événements de Mai-68. Ces jeunes militants, inspirés par les doctrines marxistes, décoloniales et tiers-mondistes, reprennent à leur compte les modalités d’action des étudiants de Mai-68, et les transposent à la réalité calédonienne. Ce réveil kanak intervient dans un moment particulier : la Nouvelle-Calédonie revêt, pour la France des années 1960, une importance stratégique majeure. L’archipel possède l’une des plus importantes réserves de nickel, un métal devenu essentiel au développement de l’industrie française. Cet enjeu économique se double d’un enjeu militaire de taille : la fin de la présence française au Sahara entraîne un déplacement des essais nucléaires vers l’espace Pacifique. Si la loi-cadre Defferre de 1957 semblait annoncer davantage d’autonomie pour l’archipel, les pouvoirs publics font marche arrière au cours des années 1960 et affirment leur mainmise sur l’archipel. Selon l'historienne Isabelle Leblic, "La rupture des équilibres a minorisé la population kanak, puisqu'on a eu plusieurs vagues de migrations successives qui ont commencé avec le nickel, mais qui se sont poursuivies après."
Cette affirmation du pouvoir français, notamment dans les domaines régaliens, alimente la colère des jeunes militants, qui ne tardent pas à se structurer en groupes. Parmi eux, le groupe 1878, en hommage à la guerre d’Ataï, et le groupe des foulards rouges. Cette contestation politique se double d’une réflexion profonde sur l’identité kanak et d’une réappropriation de cet héritage, aux racines du combat indépendantiste. Ces groupes militants se constituent bientôt en différents partis, qui s'allient en juin 1979 au sein du Front indépendantiste. Face à cette structuration du camp indépendantiste dont Jean-Marie Tjibaou s’impose peu à peu comme la figure de proue, les loyalistes cadoches répliquent en créant leur propre parti : le Rassemblement pour la Calédonie dans la République (RPCR), est fondé par Jacques Lafleur en 1977.
Des accords de Matignon aux accords de Nouméa
Les inégalités socio-économiques s’accroissent et l’espoir d’une voie de l’indépendance suscité par la victoire socialiste de 1981 est rapidement déçu. En juillet 1983, lors de la table ronde de Nainville-les-Roches, les représentants des différents partis cherchent à poser les bases d’un nouveau statut, dénoncent le fait colonial et font valoir le "droit inné et actif à l'indépendance" kanak. L’année 1984 marque le début des "événements", une période de troubles et de violences qui culmine en mai 1988 avec la tragédie de la grotte d’Ouvéa. Les accords de Matignon mettent un terme à ces quatre années d’affrontements et prévoient une période de développement de dix ans, avec des garanties économiques et institutionnelles d’autonomisation pour la communauté kanak. Comme le présente l'anthropologue Christine Demmer, "Michel Rocard résume lui-même ces accords comme une décolonisation dans la République, c'est-à-dire un rééquilibrage économique entre des zones défavorisées, ainsi que la capacité pour les Kanaks de gérer eux-mêmes deux provinces sur trois". Un second accord, dit de Nouméa, est signé le 5 mai 1998 et propose de mener une politique de décolonisation via un rééquilibrage sur le temps long en faveur des communautés locales, tout en défendant l’idée d’un destin commun.
De la fin des années 1960 à l’aube de l’an 2000, quelles ont été les grandes étapes du combat indépendantiste kanak ?
Pour en savoir plus
Christine Demmer est anthropologue, chargée de recherche CNRS au Centre Norbert Elias.
Elle a notamment publié :
- (co-dir. avec Benoît Trépied), La Coutume kanak dans l'État : perspectives coloniales et postcoloniales sur la Nouvelle-Calédonie, L’Harmattan, 2017
- Socialisme kanak. Une expérience politique à Canala (Nouvelle-Calédonie), Karthala, 2016
- (co-dir. avec Marie Salaün), À l’épreuve du capitalisme. Dynamiques économiques dans le Pacifique, L'Harmattan, 2007
Isabelle Leblic est anthropologue, directrice de recherche émérite au CNRS.
Elle a notamment publié :
- (codir. avec Umberto Cugola*) La Kanaky Nouvelle-Calédonie a rendez-vous avec l’histoire,* Dossier du Journal de la Société des Océanistes n°147, 2018
- (co-dir. avec Alban Bensa), En pays kanak. Ethnologie, linguistique, archéologie, histoire de la Nouvelle-Calédonie, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2015
- Vivre de la mer, vivre avec la terre… en pays kanak. Savoirs et techniques des pêcheurs kanak du sud de la Nouvelle-Calédonie, Société des Océanistes, 2008
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- Mathieu CoppalleStagiaire