Élections européennes : les seniors davantage séduits par le Rassemblement national, "un tournant historique"

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Élections européennes : les seniors davantage séduits par le Rassemblement national, "un tournant historique"

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Le Rassemblement National parvient de plus en plus à séduire les électeurs de plus de 65 ans, d'après les enquêtes d'opinion.
Le Rassemblement National parvient de plus en plus à séduire les électeurs de plus de 65 ans, d'après les enquêtes d'opinion.
© Maxppp - Olivier Corsan

D'après une enquête Ifop-Fiducial, 26% des "65 ans et plus" ont l'intention de voter pour la liste du Rassemblement national aux élections européennes le 9 juin prochain. Le RN effraie moins les électeurs âgés que par le passé et le politologue Luc Rouban y voit même "un tournant historique."

Ils sont les électeurs qui se déplacent le plus aux urnes : les seniors. Lors des précédentes élections européennes, en 2019, la participation des seniors a atteint 67% et aujourd'hui 56% d'entre eux déclarent leur intention d'aller voter le 9 juin prochain, d'après  une enquête Ifop-Fiducial publiée mercredi 17 avril*. Mais cette enquête d'opinion montre surtout que le vote pour le Rassemblement national progresse chez les 65 ans et plus. Si la liste de Valérie Hayer pour le camp présidentiel reste en tête, avec 33% des intentions de vote, celle de Jordan Bardella séduit 26% des seniors interrogés. Il y a cinq ans, le RN avait recueilli 19% de leurs votes.

Cette évolution s'explique par la convergence de deux éléments d'après le directeur de recherches au CNRS et au Centre de recherches politiques de Sciences Po Luc Rouban. D'une part, un sentiment de vulnérabilité croissant chez les électeurs âgés qui remettent en cause la "dimension positive et optimiste" de l'UE portée par le camp d'Emmanuel Macron. Et d'autre part, une stratégie mise en place par le Rassemblement national qui a réussi à "capter l'héritage gaulliste".

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Comment expliquez-vous cette augmentation des intentions de vote en faveur du Rassemblement national pour les élections européennes chez les électeurs de 65 ans et plus  ?

C'est un tournant historique parce que généralement les seniors, les plus de 65 ans, ont toujours été très fidèles au vote pour la droite, une droite post-gaulliste représentée aujourd'hui par Les Républicains. Une droite qu'ils ont abandonnée.

Cette transformation du comportement électoral a plusieurs ressorts. D'une part, vous avez une génération qui vit en partie dans des milieux ruraux et qui est confrontée à une perte de services publics, à des difficultés d'accès aux soins.

Ajouté à cela, les faits de d'insécurité touchent des zones qui étaient autrefois très tranquilles, comme on a pu le voir lors émeutes de juillet 2023 qui ont touché un certain nombre de petites communes.

Et puis il y a également une inquiétude plus globale concernant l'état de la société française avec la question migratoire sans doute, mais aussi toutes les questions liées à la mobilité sociale, et au fait que la situation sociale de leurs enfants et de leurs petits-enfants soient en déclin par rapport à ce qu'ils pouvaient espérer en fonction de leurs études.

Vous évoquez la disparition des services publics, les émeutes de juillet 2023 ou encore la mobilité sociale en panne. Pensez-vous que le discours du RN rassure davantage aujourd'hui les seniors que le discours de la majorité ? On se souvient qu'en 2022 les plus de 65 ans avaient massivement voté pour Emmanuel Macron, avec 39% des voix au premier tour.

C'est aussi toute la question de la dimension européenne, du rôle de l'Union européenne. Globalement, chez les plus de 65 ans, vous avez plutôt des électeurs pro-européens qui sont très favorables à l'Union européenne, parce que l'Union européenne était censée éviter les conflits et assurer une certaine paix sur le continent européen. Mais avec la guerre en Ukraine, les positions d'Emmanuel Macron sur l'engagement éventuel de troupes françaises dans ce conflit ont suscité de l'inquiétude. Il y a également une remise en cause du rôle de l'Union européenne en matière d'immigration, avec les débats sur le Pacte sur la migration et l'asile et l'idée qu'il y aurait la nécessité aujourd'hui de fermer davantage les frontières nationales aux flux migratoires. Plusieurs éléments ont donc remis en cause la dimension positive et optimiste de l'UE portée par le Macronisme.

Et parallèlement, il y a la montée en force de toutes sortes de vulnérabilités, avec un sentiment de vulnérabilité croissant, l'accès aux services publics, les difficultés pour faire face aux problèmes de santé. Ce sont des éléments convergents.

Faut-il en déduire que la stratégie de normalisation du RN fonctionne auprès de l'électorat âgé ?

Le discours du Rassemblement national a en effet gagné en crédibilité et rassuré les électeurs âgés. Autant le Front national inquiétait parce qu'il avait des positions très dures et une histoire très liée à la collaboration et à Vichy. Au sein du FN, vous aviez des membres complaisants avec l'Allemagne nazie et le passé d'extrême droite de la France. Parallèlement, les électeurs âgés représentaient alors une génération socialisée dans le gaullisme et pour laquelle le vote FN ne pouvait absolument pas être envisagé. Mais le Rassemblement national est complètement sorti de cette ornière car il y a eu une rupture idéologique assez claire. En matière d'antisémitisme, il adopte aujourd'hui une position relativement claire comme on a pu le voir après l'attaque du 7 octobre en Israël.

Par ailleurs, sur le terrain du libéralisme culturel, le RN est favorable au droit à l'IVG et se montre plus tolérant sur les droits des minorités sexuelles que le FN. Or, chez les plus de 65 ans, on compte aussi des boomers et d'anciens soixante-huitards pour qui le RN est plus rassurant que d'autres partis.

Et en politique, tout étant relatif, ce parti bénéficie aussi des positions beaucoup plus identitaires et extrémistes de Reconquête quand, de l'autre côté, la radicalité de la France insoumise inquiète davantage les électeurs âgés. Le Rassemblement national a su se placer au centre de gravité des droites en endossant les habits de la Ve République. Ses membres ont réussi à capter l'héritage gaulliste, sur les questions de pouvoir de l’État et de son rôle international, au détriment des Républicains.

Mais il ne faut pas oublier qu'il n'y a pas de "vote retraité", pas plus qu'il y a de "vote jeune". Derrière les tranches d'âge, il y a les catégories socio-professionnelles. Or, par rapport à 2022, le RN marque davantage de points chez les retraités des catégories supérieures que ceux des catégories populaires. Dans les catégories supérieures, il passe ainsi de 10 % à 19 % d'intentions de vote, c'est pratiquement le double. Ce qui est très significatif d'un ralliement des classes moyennes et supérieures au RN.

Les Enjeux territoriaux
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L'arrivée des 88 députés Rassemblement national à l'Assemblée en 2022 a-t-elle permis au RN de gagner en crédibilité auprès de ces électeurs âgés ?

Beaucoup de commentateurs font une erreur en expliquant le succès du RN comme si le RN était le FN d'une autre manière. Mais non, ce n'est pas le Front national. Il n'a pas le même fonctionnement et ses élus n'ont pas la même sociologie. La moitié des députés RN viennent de catégories supérieures aujourd'hui, pas comme les rares députés FN qui étaient en général des employés ou d'anciens gendarmes à la retraite. On a donc une sociologie du personnel politique qui a évolué, de même que l'offre politique qui ne se réduit plus simplement à la question de l'immigration.

Il faut ici souligner un point fondamental. Tous les ans, les enquêtes montrent qu'il y a de moins en moins de xénophobie et de racisme en France. Donc il faut être cohérent et comprendre que le moteur du succès du RN n'est pas une montée en force du racisme ou de la xénophobie. Il existe bien d'autres éléments, bien d'autres leviers comme le problème de la mobilité sociale, la question du mépris social. Et sur ce terrain là, le Macronisme a suscité bien des vocations de vote pour le RN.

Le Billet politique
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Le Rassemblement national tente de nationaliser les enjeux de la campagne pour les élections européennes. Dans quelle mesure cette dynamique du RN dans les sondages peut se répercuter sur la prochaine élection présidentielle ?

On constate aujourd'hui un problème d'incarnation du projet politique de l'Union européenne, et en effet ces élections européennes vont essentiellement se jouer sous une forme de référendum pour ou contre le Macronisme. Mais si ce scrutin va être analysé comme une forme de prise de température politique, les enjeux ne sont pas du tout les mêmes dans une élection présidentielle. Les élections européennes sont un scrutin à un tour à la proportionnelle et la personne qui est tête de liste n'a pas beaucoup d'importance. Ce qui compte sont les idées qu'elle porte et le positionnement de la liste. En revanche, pour une élection présidentielle, la personnalité des candidats est décisive. Parce que la personne élue a un pouvoir direct sur la vie des Français. Le président de la République en France est très puissant, c'est le dirigeant qui a le plus de pouvoir dans le monde occidental, ce qui nécessite une très grande maîtrise des dossiers. Et c'est d'ailleurs là-dessus qu'Emmanuel Macron a réussi à battre Marine Le Pen à deux reprises. Il ne faut donc pas voir dans ces élections européennes les prémices de la prochaine présidentielle.

En revanche, les électeurs âgés de 50 à 64 ans sont aujourd'hui ceux qui votent le plus pour le RN. Et c'est une génération qui subit tous les problèmes actuels, c'est-à-dire l'allongement de la durée de travail et la précarité du travail. Or ces retraités de demain constituent un réservoir de voix très important pour le RN.

enquête menée pour LCI, LE Figaro et Sud Radio auprès d’un échantillon de 1 364 personnes inscrites sur les listes électorales, extrait d’un échantillon de 1 503 personnes, représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus