Endométriose : une sexualité bouleversée

L'endométriose touche 10% à 20% des femmes en France. ©Maxppp - Yves Salvat / Le Progrès
L'endométriose touche 10% à 20% des femmes en France. ©Maxppp - Yves Salvat / Le Progrès
L'endométriose touche 10% à 20% des femmes en France. ©Maxppp - Yves Salvat / Le Progrès
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Plus d'une femme sur dix souffre d'endométriose en France. Cette maladie gynécologique longtemps passée sous silence bouleverse le quotidien des patientes. Règles douloureuses, troubles sexuels ou encore fatigue chronique : l'endométriose a un impact jusque dans l'intimité d'une chambre à coucher.

C'est l'une des principales causes de douleurs chroniques chez la femme en France. L'endométriose, cette pathologie encore pleine de zones d'ombre, est liée à la présence de tissus semblables à la muqueuse utérine en dehors de l’utérus.

Des ovaires au diaphragme en passant par la vessie et les intestins, différents organes peuvent être touchés. Les patientes attendent en moyenne sept ans avant que le diagnostic ne tombe enfin. Il faut dire que les spécialistes capables de la détecter précisément (grâce à des examens radiologiques) sont rares. Emmanuel Macron a d'ailleurs annoncé en janvier dernier la mise en place d'une "stratégie nationale de lutte" contre la maladie pour améliorer sa prise en charge.

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Si le diagnostic reste encore complexe, de nombreux symptômes doivent alerter les médecins lors de l'examen clinique. Les règles douloureuses, les douleurs ressenties en dehors des cycles, les troubles digestifs ou encore les dyspareunies (douleurs lors des rapports sexuels), sont les plus fréquemment évoqués. Des symptômes qui peuvent bouleverser toute une vie, à commencer par l'intimité des femmes concernées. Le Grand Reportage de la rédaction de France Culture s'intéresse à ce versant plus tabou de la pathologie. Pour parler plus largement de la maladie, Yasmine Candau, la présidente de l'association EndoFrance est l'invitée de cette émission.

La Méthode scientifique
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"Coups de couteau au fond du vagin"

"Mes douleurs sont montées crescendo. D'abord j'ai eu des règles ultra douloureuses, je ne pouvais parfois même plus me lever. Et quand j'ai eu mes premiers rapports sexuels, j'ai remarqué que j'avais mal dans certaines positions comme la levrette. C'était des sensations de coups de couteau au fond du vagin", se souvient Jessie.

La jeune femme de 23 ans a été diagnostiquée il y a deux ans, après plusieurs années de souffrance.

"Au moment où on m'a diagnostiquée, je ne pouvais pratiquement plus porter de jean, plus de vêtements serrés. C'était comme une sensation d'énorme brûlure à l'entrée du vagin. J'ai consulté quatre gynécologues différents avant qu'on me diagnostique. J’ai dû faire je ne sais plus combien de tests et prélèvements sauf que rien qu’un spéculum c’était horrible, c’était une souffrance à chaque fois. C'est finalement une jeune sage-femme qui m’a orientée vers le diagnostic de l’endométriose." Jessie, atteinte d'endométriose

Comme la majorité de femmes atteintes d'endométriose profonde, Jessie souffre de dyspareunies. Ses douleurs se sont amplifiées au début de sa relation avec son actuel petit ami. Au bout de quelques mois, il était quasiment devenu impossible pour elle de faire l'amour avec pénétration :

"Cela bousille la vie, cela nous touche mentalement et physiquement. On va se sentir moins femme, notamment parce qu’on ne peut plus avoir de rapport sexuel 'normal'… Surtout à mon âge, 23 ans, où la société dit qu’on devrait presque faire l’amour une fois par jour et que c’est magique, alors que pour nous pas du tout ! On culpabilise énormément. Vous n’imaginez pas le nombre de fois où j’ai pleuré à cause de ça."

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Ces brûlures ressenties dès l'entrée du vagin sont souvent la conséquence de douleurs plus profondes, explique le Dr Benjamin Merlot, co-fondateur du centre de l'endométriose de la clinique Tivoli à Bordeaux :

"Il y a deux types de dyspareunies. La dyspareunie profonde et la dyspareunie superficielle. La dyspareunie profonde c’est la douleur ressentie au fond du vagin, pendant le rapport. Elle est souvent liée à de l’endométriose placée pas très loin du vagin. Ce sont des lésions que le corps va essayer de cicatriser comme toutes autres plaies. C’est ce qui fait que les tissus sont rigides et entraînent des douleurs atroces au contact de la pénétration. La dyspareunie superficielle, ce sont les douleurs ressenties dès les premiers centimètres du vagin. Les patientes contractent inconsciemment les muscles, en réaction à l’appréhension du rapport et pour éviter d'aller au fond. La dyspareunie profonde, avec le temps et l’appréhension, va entrainer une dyspareunie superficielle."

Le centre de l’endométriose de la clinique Tivoli reçoit plus de 3 000 patientes chaque année
Le centre de l’endométriose de la clinique Tivoli reçoit plus de 3 000 patientes chaque année
© Radio France - Audrey Dumain

Pour soulager ses douleurs superficielles, Jessie fait régulièrement des séances de kinésithérapie. Depuis bientôt deux ans, elle consulte à Bordeaux Magali Camicas-Delevacque, spécialisée dans la rééducation pelvi-périnéale. Ces séances lui ont notamment permis de mieux connaître son corps et mieux appréhender la douleur.

"Depuis que je fais de la kiné, cela va mieux et le plaisir revient petit à petit. J'ai peut-être 23 ans mais je pense que je connais mieux mon corps que certaines femmes de 50 ans. J'ai aussi la chance d'avoir un copain très compréhensif qui m’a soutenue jusqu’à ce que nous trouvions des solutions. La communication avec son ou sa partenaire est primordiale, il faut parler de tout ce que l’on ressent."

Le Journal des sciences
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Peur de la sexualité et de l'intimité

Ces douleurs lors des rapports sont à prendre autant au sérieux que les autres symptômes, insiste le chirurgien Benjamin Merlot. "Je pense qu'il y a trois choses à interroger lorsque l'on soupçonne une endométriose : les douleurs pendant les règles, les douleurs en dehors des cycles et les douleurs lors des rapports. Lorsque l'on a réussi à soulager tous les symptômes sauf les dyspareunies, on ne peut pas dire aux patientes 'Vous avez des rapports douloureux, faites avec !' On voit des patientes qui sont dans le refus complet de la sexualité et de la vie de couple, uniquement parce qu’elles ont des rapports douloureux."

C'est le cas de Marie. À 39 ans, la brune aux grands yeux noirs n'a pas encore trouvé celui avec qui partager son quotidien.

"Aujourd'hui, si je suis célibataire, c'est en partie à cause de l'endométriose qui m’a forcée à mettre certains hommes de côté. La maladie m’a fait perdre confiance en moi, en mon corps, et en ma capacité à être femme. J’ai peur parfois de ne pas être à la hauteur. Peur de ne pas pouvoir aller au bout de la relation intime et qu’il aille voir ailleurs… Mais c'est aussi aux hommes d’être à l’écoute."

La Bordelaise sort d'une relation douloureuse. Trois années passées avec un partenaire "pas compréhensif du tout", confie-t-elle.

"L’endométriose c’est de la fatigue, et parfois, quand on a mal dans son corps, on n’a pas envie qu’on nous touche, même un câlin ce n’est pas possible… Et il me disait 'Encore ?' Bah oui encore, l’endométriose est une maladie chronique inflammatoire ! Mon quotidien n’est pas simple. Je suis infirmière, je travaille trois jours dans la semaine de 7 heures à 19 heures avec des patients lourds. Et quand je suis de repos, je récupère parce que j'ai mal. J'ai mal dans mon ventre, dans mon vagin, dans le dos. C’est cela le quotidien d’une personne qui a l’endométriose et quand on est célibataire, il faut l’expliquer." Marie, atteinte d'endométriose

Pour mieux accepter son corps et sa maladie, Marie a suivi une psychothérapie pendant plus de deux ans après avoir subi une lourde opération chirurgicale. "Aujourd'hui je me sens belle, je me sens désirable mais cela a mis du temps. Avant je me sentais la moitié d'une femme, maintenant il me reste encore un quart à accepter, c'est le fait de ne pas pouvoir avoir d'enfant naturellement. Tous les jours c'est un combat. Parfois je gagne, parfois je perds. Aujourd'hui je gagne, demain je ne sais pas."

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Troubles du désir

Pour Charlène, les relations sexuelles n'ont jamais été source de souffrance. Pourtant, l'endométriose a eu des conséquences sur la libido de la trentenaire. Au point de n'avoir plus que quatre ou cinq rapports par an avec son conjoint, Pierre, rencontré il y a plus de 13 ans : "Quand on a mal 15 à 20 jours par mois, qu’on ne se sent pas bien, qu’on prend du poids à cause des traitements médicaux et qu'on fait moins d’activité physique… On se sent moins désirable, on n'a pas envie et on ne provoque pas l’envie", analyse-t-elle.

"L’endométriose, ce n'est pas juste des douleurs au moment des règles. C'est une maladie qui touche à l’intégralité de la vie intime, qu’on soit seule ou en couple."

Comme plus de 30% des femmes atteintes par la maladie, Charlène est confrontée à un problème d'infertilité. Elle s'est faite opérer en août 2021 afin d'augmenter ses chances d'avoir un enfant naturellement. Mais le traitement chirurgical ne suffit pas. Pour y arriver, le couple doit obligatoirement augmenter la fréquence de ses rapports sexuels. Ils consultent pour cela la sexologue Juliette Delage depuis plusieurs mois. "Mon rôle va être de réveiller un peu l’imaginaire érotique de mes patients et mes patientes à travers plusieurs choses : cela peut être des lectures, des audios érotiques, la masturbation aussi… Je travaille toujours en lien entre le corps et l'esprit."

La sexologue, qui reçoit également des patientes souffrant de dyspareunies, rappelle qu'un rapport sexuel n'implique pas forcément une pénétration.

"On peut s'amuser tout autant avec d'autres choses. À mes patientes douloureuses, j'explique qu'il faut arrêter tout ce qui fait mal. On arrête de remplir le réservoir à souvenirs douloureux et on va vers tout ce qui fait du bien. On peut pratiquer la fellation, le cunnilingus, on peut se faire des câlins aussi, des massages… La sexualité ce n'est pas uniquement des contacts entre sexes, cela peut être la poitrine, les fesses, le dos, les cuisses et même les pieds, certains aiment beaucoup cela ! On n'a pas de baguette magique et chacun avance à son rythme mais il est tout à fait possible de retrouver une sexualité épanouie quand on a une endométriose." Juliette Delage, sexologue

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