Étienne Dinet, peintre orientaliste, à cheval entre le XIXe et le XXe siècle, a une particularité : c'est l'un des rares artistes orientalistes à échapper aux critiques que connaît ce courant. Voici comment ce peintre français est devenu une figure du patrimoine culturel algérien.
L'Institut du monde arabe met à l'honneur Étienne Dinet, et ses passions algériennes. Oublié en France, Étienne Dinet est pourtant devenu une figure du patrimoine artistique algérien.
Essor et critique de l'orientalisme
L’orientalisme est cette tendance artistique, très populaire au XIXe siècle, qui présente une vision fantasmée et exotique de ce qu’on appelle l’Orient. Et cela, dans un contexte de campagne d’Égypte napoléonienne et d’essor du colonialisme.
Cette tendance se retrouve en poésie, en littérature, en photographie et surtout dans les arts plastiques avec des peintres comme Jean-Auguste-Dominique Ingres en chef de file. Les thèmes que l'on retrouve le plus souvent varient entre les combats, les paysages et les femmes. Beaucoup de femmes. Souvent dénudées et représentées dans des positions lascives, érotiques, dans un harem fantasmé.
Fantasmé, car si certains artistes ont vraiment voyagé au Maghreb ou au Moyen-Orient, d’autres n’y ont jamais mis les pieds. Et leurs œuvres véhiculent des clichés et préjugés qui soutiennent d’une certaine façon la domination coloniale par l’Occident.
C’est cette vision fantasmée qui est critiquée, en particulier depuis les années 1970 et l’ouvrage du palestino-américain Edward Saïd L'orientalisme : l'Orient créé par l'Occident, un des textes fondateurs des études post-coloniales.
Pourtant, certains artistes, ils sont rares, échappent à ces critiques. C’est le cas d’Étienne Dinet malgré ses tableaux représentants les fantasmes de l’Occident
Pourquoi Étienne Dinet est célébré en Algérie ?
Etienne Dinet est tombé amoureux de l’Algérie dès son premier voyage en 1884. Petit à petit, il quitte le milieu bourgeois parisien dans lequel il est né pour s’installer dans le sud algérien qu’il affectionne. Fasciné par les gens qu'il rencontre, il peint la vie quotidienne telle qu'elle est.
"Ce qui le fait échapper au procès de regard colonial et exotisant, explique Mario Choueiry, professeur d'histoire de l'art spécialiste des cultures arabes, c’est le fait qu’il peint des fragments de réalité et qu'il ne fantasme pas un orient qu’il n’a pas vu. Tout est vrai dans sa peinture. Le moindre détail, la moindre grimace, le moindre tissu, couleur, position, a été observé par lui."
Il se fond dans cette nouvelle culture, se convertit à l’islam et devient Nasreddine Dinet. Il est convaincu que ce qui l’entoure est voué à disparaître et peint donc en ethnologue, pour documenter et garder une trace de la beauté algérienne. Une beauté qu’il retrouve autant dans les corps dénudés, que dans les paysages ou les appels à la prière.
Il fustige les dérives de la colonisation et parle de "pourriture coloniale". Après la Première Guerre mondiale, il se bat pour que les combattants algériens, enterrés avec des croix sur leur tombe, puissent avoir une sépulture musulmane. Il écrit la première biographie du prophète en français, en hommage aux musulmanes morts pour la France. "Il est perçu à Bou Saâda où il vit, comme un juste, analyse Mario Choueiry, comme quelqu’un qui va dénoncer une injustice, faire intervenir ses relations à Alger pour punir un administrateur colonial véreux par exemple."
Il meurt en 1930 et, après l’indépendance algérienne, on retrouve ses œuvres sur les timbres, les cartes postales, les affiches, les manuels scolaires. Étienne Dinet, oublié en France, devient ainsi une figure du patrimoine algérien.
Références