Godzilla, métaphore des traumatismes et des défis du Japon d'après-guerre

Le nom originel de Godzilla est en fait Gojira
Le nom originel de Godzilla est en fait Gojira
Godzilla, symbole des traumatismes du Japon
Publicité

Godzilla, métaphore des traumatismes et des défis du Japon d'après-guerre

Par

Le lézard préhistorique réveillé par des essais atomiques est l'un des monstres les plus connus au monde. Pourtant, derrière le chaos qu'il sème, il est aussi le symbole des angoisses de la société japonaise des années 1950.

“Gojira” est en fait quasiment le remake d’un film réalisé par un Français, Eugène Lourié, expatrié aux États-Unis, sorti un an plus tôt : Le Monstre des temps perdus. Dans ce film, une créature ancienne est réveillée par des essais nucléaires et sème le chaos à Manhattan.

En voyant le succès de ce film, un producteur japonais, Tomoyuki Tanaka, décide que le  Japon aura, lui aussi, son film de monstre. Mais ce film ne sera pas qu’un blockbuster, il sera une allégorie de la période difficile que traverse son pays.

Publicité

Au début des années 1950, l’archipel japonais est un pays en ruines, avec 3 millions de morts pendant la  guerre, des villes rasées par des bombardements incendiaires, mais aussi par deux bombes atomiques. Le Japon essaye de se reconstruire difficilement. Il est occupé par l’armée américaine jusqu’en 1952.

Un incident en 1954

Mais la menace nucléaire est encore présente et un incident va réveiller les vieilles angoisses de la nation. En 1954, l’armée américaine procède à des essais avec la bombe H, une bombe encore plus puissante que celle larguée à Hiroshima, sur l’atoll de Bikini dans le Pacifique.

La zone touchée est plus large que prévu et un bateau de pêche japonais subit de plein fouet les radiations. Un membre de l’équipage succombe rapidement. Une psychose s’empare du pays, avec la crainte que le poisson, une des principales ressources nourricières du pays, soit contaminé et mis en vente sur le marché.

C’est dans ce contexte de panique que la production de “Gojira” est lancée. Son réalisateur, Ishirō Honda, a lui-même participé à la guerre et a été fait prisonnier en Chine. Lorsqu’il retrouve son pays en 1945, il est tellement marqué par les paysages de désolation qu’il va y faire référence dans son film.

Pour Nicolas Deneschau, coauteur de Godzilla - Le Japon et ses monstres : l'apocalypse selon Godzilla, le cinéaste Ishirō Honda qui vient du documentaire, a "cette patte un peu naturaliste qui va beaucoup amener à faire de 'Godzilla' un film un peu à part dans la grande ornière des films de monstres de l’époque, notamment américains. D’ailleurs, Ishirō Honda va beaucoup jouer sur cette ambivalence. Dans la représentation des villes en flammes suite au passage de Godzilla, il jouait sur les réminiscences qu’avaient des gens encore des images toutes fraîches."

Le Cours de l'histoire
52 min

Contrairement au film dont il s’inspire, Gojira n’est pas animé en stop-motion, c’est-à-dire image par image. Il est joué par un acteur qui enfile chaque jour un costume de 91 kilos. Et pour son cri si particulier, c’est en fait un gant couvert de résine qui gratte les cordes d’une contrebasse, au ralenti.

L'ambivalence du motif de l'océan

Gojira est un mélange de deux mots japonais, “gorira” gorille, là, on voit bien la référence à King Kong et “kujira” qui signifie baleine, car le monstre aquatique est aussi une allégorie du rapport très ambivalent de l’archipel japonais avec l’océan qui l’entoure.

Nicolas Deneschau rappelle qu'à la fois l’océan, "c’est ce qui est nourricier, ce qui permet au Japon de vivre. L’océan, c'est aussi tout ce qui amène de mauvais. Que ce soit naturel, les tempêtes, les tsunamis, que ce soit les armées envahissantes, etc."

Gojira fait aussi écho à une vieille légende japonaise du XVIIe siècle, selon laquelle un poisson-chat vivrait sous l’archipel et serait responsable des tremblements de terre. Le monstre du film est influencé par une conception shintoïste des éléments, qui personnifie les grandes forces de la nature.

Le film connaît un grand succès aux États-Unis. Les studios intègrent au montage des séquences avec un personnage de journaliste américain. Le nom est légèrement modifié, de gojira à Godzilla, pour accentuer la nature divine du monstre.

Godzilla a le droit à une suite dès 1955. En presque 70 ans, le monstre, devenu franchise, a donné lieu à près de 40 films et séries, plus ou moins réussis.

Si Godzilla au début est un antagoniste pour le peuple japonais, "très rapidement, il va devenir le protecteur du Japon. Tout simplement parce que  la science nucléaire, de l’origine du mal, va devenir le principal outil pour la résilience du pays, puisqu’en fait, ça va être un pays qui va énormément s’axer sur le nucléaire, développer des centrales atomiques à gogo dans les années 1960. Godzilla est devenu le bon côté du nucléaire."

Les Grandes Traversées
59 min