La philosophie a-t-elle à voir avec la sexualité ? Pour le dire plus crument, de la position du missionnaire au Bondage SM, peut-on penser le cul philosophiquement ? Attention les plus chastes oreilles pourront en profiter pour aller jouer au ballon.
- Cédric Enjalbert Rédacteur en chef adjoint de Philosophie magazine
- Francis Métivier Docteur en philosophie
- Laurence Devillairs Docteure en philosophie
Evidemment, la philosophie étend ses domaine à toutes les sujets qui nous affectent. Mais peut-elle nous aider à mieux faire l’amour, à mieux comprendre cet obscur objet du désir, cette libido, au sens freudien, qui nous rend vivant. De Platon à Michel Foucault en passant par Épicure, Descartes ou Judith Butler, qu’est-ce que les philosophes ont d’intéressant sur ce sujet ? Le sexe qui interroge la norme, le plaisir, le désir, le corps, l’altérité…
On se demande aussi ici ce que la philosophie peut nous apprendre sur certaines positions comme le 69, la sodomie ou la fellation. Évidemment les plus chastes oreilles et les plus jeunes pourront faire autre chose à ce moment-là… Et puis avec le mensuel Philosophie Magazine on se demandera pourquoi le sexe n’a jamais été aussi présent dans nos vies alors que nous n’avons jamais aussi peu fait l’amour…
Pour Kant, ce qui est transcendantal est ce qui n' a pas besoin d'être en contact avec l'expérience pour être là et pour exister, Alexandre Lacroix de Philosophie Magazine en déduit l'idée d'une bandaison transcendantale, encore là alors qu'il n'y a plus aucune stimulation, comme une "bandaison dans le vide, une bandaison métaphysique" lorsque l'excitation perdure dans l'immobilité.
Les philosophes n'ont pas spontanément pris la sexualité dans leurs réflexions nous dit Laurence Devillairs, philosophe, on constate avec étonnement que "la philosophie a beaucoup pensé le corps et ce qui peut se rattacher au corps (...) mais en réalité quand on regarde de prêt pour citer les philosophes qui ont eu des concepts autour de la sexualité, on a beaucoup de mal". Il est compliqué de trouver des philosophes qui ont réellement parler de sexualité, certains sont à la périphérie, comme Descartes qui a conceptualisé le coup de foudre, ou Levinas qui évoque la caresse, "mais ce n'est pas ça la sexualité".
Le philosophe parle beaucoup de faire ou ne pas faire, ainsi son discours sur la sexualité est moralisateur, "le grand malentendu de la sexualité est de confondre sexe et désir". On peut en effet sentir et avoir un très fort désir sans sexualité, et de la sexualité sans aucun désir. "On demande à l sexualité de nourri le désir mais ce n'est pas son objet".
Le sexe, un ensemble de pratiques concrètes, physiques et mentales
Francis Métiviers, professeur de philosophie et d'éthique à l'Université de Tours, définit le sexe "comme un ensemble de pratiques concrètes, physiques mais aussi mentales", il est pour lui l'un des grands tabous de la philosophie et aujourd'hui de la société. Pour les philosophes antiques, le sexe est frappé par l'interdit, lié au corps, voir considéré comme sale, les philosophes en parlent alors de façon sous-entendue.
Platon effleure ainsi la chose dans Le Banquet, quand Éros né d'un coup d'un seul apparaissant aux côtés de deux personnes qui ne se connaissaient pas deux lignes au-dessus, Nietzche de son côté parle d'instinct. Parler de sexe est tabou, en partie levé au 20è siècle avec Foucault, "avec des pincettes, sous couvert d'auteurs de l'antiquité", mais il a permis de dire qu'on pouvait parler de sexe.
Des philosophes osent mais "on n'est que dans la philosophie, et en société ça reste une sujet très tabou dont il ne faudrait pas parler", alors que la philosophie interroge le corps, la norme, les plaisirs, la douleur.
Et le professeur de philosophie rappelle que "si vous regardez le programme de philosophie, les notions officielles dont nous devons parler c'est le devoir, la raison, la science, le travail, la technique, c'est à dire des notions qui ne sont pas forcément marrantes, le désir n'est plus dans le programme de philosophie, le corps n'a jamais été dans le programme de philosophie".
Récession sexuelle ou progression du consentement ?
Laurence Devillairs appuie : "la sexualité est tabou alors qu'il y a une pansexualité et la sexualité est partout". Le magazine Philosophie magazine est parti de ce constat de paradoxe pour réaliser son dossier spécial, le sujet est partout sur les réseaux, à la télé, dans les films et pour autant des études aux États-Unis notamment montrent qu'il y a une récession sexuelle chez les jeunes. Alors est-ce l'abondance de sexualité qui en fait un trop plein ? Le journaliste Cédric Enjalbert ajoute deux explications importantes entre les deux : un explication progressistes avec plus de liberté pour les femmes où, mécaniquement, s'il faut que les désirs s'accordent peut-être y a-t-il moins de sexe, et une autre raison, économique, marxiste, fait que les jeunes partent plus tard de chez leurs parents, donc moins de sexe sous le toit familial. La troisième voix est celle sorte de censure par l'excès, tellement d'excitation qu'on est dégoûté de tout.
Le débat est lancé, est-ce bien de plus ou moins faire l'amour ? La philosophe Laurence Devillairs se dit à contre-courant, il s'git au contraire pour elle d'une très bonne nouvelle, car il y a désormais la question de "est-ce que j'ai envie ?". La mode de la sexualité trépidante est passée, celle qui cale la sexualité des femmes sur les hommes, sinon après les hommes. Cette baisse de la pratique est bel et bien une bonne nouvelle, une conséquence mécanique du consentement, de la prise en compte des pratiques de chacun.e. On s'est planté avec la libération sexuelle des années 70s, l'esprit était plus libre certes, mais le corps ne l'était pas complètement, surtout pour les femmes ; la nouvelle libération sexuelle est peut-être celle-ci, le fait que les femmes ont repris le pouvoir sur leur corps.
Mais le risque de réduire la femme à un corps, également dans l'expression de se réapproprier son corps, reste un risque. Une femme est avant tout "un sujet" pour Laurence Devillairs, et on parle de "la" sexualité, peut-être devrait-on parler de sexualité masculine ou féminine.
Kant à l'origine du consentement, mais Kant moralisateur ambigu
Pour la philosophe Laurence Devillairs, Kant est au-dessus de tout, il faut commencer par l'homme, Il affirme que l'homme n'a aucune inclination. à manger la chair de l'autre sauf dans la sexualité, pour lui "la sexualité est un crime de chair". Car avec le sexe, on use de l'autre et on l'utilise comme un instrument à son service, "la réduction non seulement de sa personnalité, mais aussi de son corps". Kant prévient sur ce cannibalisme de la sexualité, sa solution, peut-être datée, est d'introduire du droit en pénalisant ce cannibalisme d'une certaine façon, par le mariage par exemple, "tu peux avoir une relation sexuelle avec moi si tu y as droit". Sans ce rapport moral avec cette personne qui de toute façon nous échappe car elle est libre, alors nous ne sommes "qu'un rôti de porc" pour lui. Kant est en ce sens peut-être l'instigateur du consentement, au sens moderne.
Il y aussi un Kant ambigu, rappelle le conférencier Francis Métivier, qui tout comme la société est moralisateur sur le sexe, "et peut-être même jusqu'à s'en abstenir et d'un autre côté on ne peut s'empêcher d'en parler" mais en parle tout de même à demi-mots. Kant ne parle peut-être pas directement de fellation mais de délectation, fait de cette fellation un plaisir alimentaire, "une délectation à travers des phénomènes très corporels, le contraste des sensations, la nouveauté des sensations, le changement des sensations et l'intensification jusqu'à l'accomplissement", ou jusqu'au maximum ; on ne peut pas s'empêcher intérieurement ici de penser à des pratiques sexuelles.
Le 69, une pratique égalitaire
Pour Farcnis Métciiers, elle est "la seule position qui permet de donner et de recevoir". Et il convoque les philosophes Obs et Rousseau et son contrat social. Dans la plupart des positions, en schématisant, l'une domine l'autre, le 69 semble être la plus égalitaire, inutile de faire un dessin. "Et l'égalité est également entre guillemets entre les combinaisons homme femmes et les personnes intersexes, une positon que finalement tout le monde peut faire."
Position Andromaque, quand la femme (re)prend le pouvoir
Andromaque, lorsque la femme est sur l'homme et le chevauche, est une positon plus sérieuse qu'il n'y paraît, très sérieuse pour le professeur chargé de cours d'étique t d'esthétique à l'Université de Tours. Il analyse cette position à partir des écrits de Simone de Beauvoir pour qui "la première pénétration est un viol, toujours". Comment faire alors pour que cette première relation ne le soit pas ? D'autant plus que le garçon n'a souvent pas conscience "de son agressivité, des conséquences de telles pulsions". Francis Métivier apporte alors en réponse la position Andromaque "où la femme est sur l'homme et à pour ainsi dire un meilleur crawl et la possibilité d'avoir la satisfaction de ses désirs plus que d'autres positions comme la levrette ou le missionnaire". Sans pour autant assimiler la sexualité de la femme à celle de l'homme.
Laurence Devillairs nuance, il faut se méfier de "telle position (qui) serait plus un dépassement de la soumission féminine parce que la femme prendrait le contrôle serait une erreur, car c'est une façon d'héroïser la femme et de masculiniser la femme". La sexualité féminine pour elle ne doit pas se grimer en homme, en revanche l'éducation à la conscience de la violence "oui, absolument".
La levrette selon Rousseau
"Coitus more ferrarum", comme les animaux le font selon Rousseau. Ici l'homme ne laisserait pas éclater une gentillesse réfrénée mais plutôt un retour par jeu d'un état de nature, une animalité enfouie si l'on suit la logique du Discours de Rousseau. Pour lui il y a dans l'inconscient individuel ou collectif une part de nature. Attention, animalité ne veut pas dire agressivité ou férocité. Revenons-en à Kant et au consentement, l'acte de sexualité doit se faire dans un accord mutuel.
La sexualité peut-elle, doit-elle s'affranchir de ses fonctions reproductibles ?
La suite à écouter ici..
Invité.e.s pour parler sexualité et philosophie :
- Cédric Enjalbert, journaliste, rédacteur en chef adjoint de Philosophie Magazine
Philosophie Magazine n°179 mai 2024 : Sexe : où est-ce que ça coince ?, dans lequel Cédric Enjalbert a notamment conduit une discussion entre Camille Froidevaux-Metterie et Ovidie - Francis Métivier, philosophe, musicien, conférencier, chroniqueur, professeur au lycée à Saumur et chargé de cours spécialisé en éthique et esthétique à l’Université de Tours. Chercheur notamment dans les domaines de la « pop’philosophie », créateur de Rock’n’philo qui fait de la musique rock une porte d’entrée vers la philosophie.
- Laurence Devillairs, docteure et agrégée de philosophie HDR à Sorbonne Université, normalienne. Elle est spécialiste du XVIIème siècle, et spécialiste de philosophie morale. Elle est autrice de Un bonheur sans mesure, Albin Michel (2017) et de La splendeur du monde, aller à la rencontre de la beauté aux éditions Stock (2024)
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Pendant que les champs brûlent
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