Édouard Louis : "La violence contient toujours le risque de son autodestruction"

L'auteur Edouard Louis qui publie "Monique s'évade" aux éditions du Seuil - Jean-François Robert
L'auteur Edouard Louis qui publie "Monique s'évade" aux éditions du Seuil - Jean-François Robert
L'auteur Edouard Louis qui publie "Monique s'évade" aux éditions du Seuil - Jean-François Robert
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Le dernier roman d’Édouard Louis, paru le 26 avril dernier aux éditions du Seuil, livre un récit d’évasion : celui de sa mère qui prend de l’élan pour conquérir une vie plus libre. « Monique s’évade » décrit les chaînes d’oppression dont il faut se défaire et évalue le prix de la liberté.

Avec

Passé des classes populaires du nord de la France aux codes bourgeois parisiens par étude, goût, entraînement et application, Édouard Louis s'érige en ennemi du déterminisme tout en continuant de constater les ravages engendrés par ce dernier. Il s'est pris pour sujet d'étude dans En finir avec Eddy Bellegueule, Histoire de la violence, et Changer : méthode, et s'est aussi penché sur les destins de ses parents dans Qui a tué mon père ?, Combats et métamorphoses d'une femme, et le dernier en date, Monique s'évade, tout juste paru au Seuil.

L'écrivain, qui a également dirigé l'ouvrage collectif Pierre Bourdieu, L'insoumission en héritage et publie un livre d'entretiens avec le cinéaste Ken Loach, commence son nouveau récit par un appel de sa mère, car l'homme avec lequel elle vit à Paris depuis quelques années, parfaitement ivre, la couvre d'insultes. Elle a pourtant déjà quitté deux hommes, dont le père du narrateur, pour échapper à la violence domestique. Celle qui a passé sa vie à s'occuper des autres et qui ne possède rien aura malgré tout le courage, une fois de plus, de partir et de tout recommencer.

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L'écrivain Édouard Louis publie donc Monique s'évade, son dernier ouvrage, aux éditions du Seuil dans lequel il s'interroge sur le prix de la liberté en relatant la soustraction de sa mère à une vie de violence.

Sa vision de la littérature

Édouard Louis conçoit la littérature comme une démarche politique, comme une démarche de transformation : "J'écris pour transformer les choses, ce qui est d'ailleurs intéressant parce que c'est une forme de subversion d'une idée ancienne de la littérature, que de dire 'j'écris pour obtenir un résultat'. Il y a souvent dans la littérature l'idée qu'elle doit être un peu en dehors du monde, qu'elle doit ne pas apporter quelque chose, ne pas apporter de résultat, ne pas apporter de profit. Moi, je fais le contraire. Ce que je veux que fasse la littérature, c'est transformer quelque chose. Au fond, je conçois la littérature comme une stratégie. Écrire, pour moi, c'est comme une stratégie de guerre pour gagner une bataille, gagner une bataille contre la domination masculine, contre la domination de classe, contre l'homophobie. Et évidemment, c'est quelque chose qui m'anime au quotidien."

Pour Edouard Louis, l'autobiographie, loin d'être un genre narcissique, est d'une certaine manière beaucoup moins intime que la fiction : "Moi, quand je fais une autobiographie, je parle d'un corps que je n'ai pas choisi, d'une famille que je n'ai pas choisie, d'un monde que je n'ai pas choisi, d'une classe que je n'ai pas choisie. Alors que quand vous faites de la fiction, vous choisissez un personnage, vous lui choisissez un nom, vous lui choisissez des goûts, vous lui choisissez un mode de vie et c'est quelque chose de beaucoup plus personnel et de beaucoup plus intime. Moi, je me mets à distance de moi quand j'écris ou quand je porte une parole autobiographique. Édouard Louis n'existe plus."

Dans le prétoire
3 min

Ce qu'Édouard Louis aime lire

En tant que lecteur, Edouard Louis lit ce qui ne lui ressemble pas : "Je ne supporterais pas un monde où tout le monde serait Édouard Louis. Je suffoquerais et on ne peut pas être tous et toutes toujours dans une attitude de combat, de lutte, de transformation. Moi-même, au moment où je réfléchis, où je lis, j'ai besoin de sortir de moi-même. Et d'ailleurs, j'ai traduit en français des ouvrages de la poétesse canadienne Anne Carson, qui est sans doute une des personnes qui me ressemble le moins dans l'écriture, dans la démarche littéraire. Et ce qui m'intéressait, c'était justement traduire quelque chose qui ne me ressemble pas."

27 min

Une analyse de la violence

Peut-on s'affranchir de la violence qu'on a connue enfant ? Édouard Louis pense qu'il faut essayer de tordre la violence pour en faire advenir autre chose. "À ce moment-là, il faut réussir à sortir du cercle dans lequel cette violence nous emprisonne. Et ça, c'est évidemment la partie la plus difficile : qui s'enfuit, qui ne s'enfuit pas et comment ? Comment on ne devient pas un esclave de cette violence qui nous pousse à être violent ? Puisque c'est quelque chose que ma mère disait elle-même quand elle était avec des maris violents : qu'elle avait tendance à être violente avec ses enfants. Elle dit : 'j'étais tellement stressée, angoissée, prise dans cette situation d'hommes qui se comportaient mal avec moi, qu'en fait, je reproduisais cette violence sur d'autres.' Comme si, au fond, la violence était un courant, un flux, une rivière, un courant électrique."

Pour lui, les causes de la violence ne se trouvent pas dans les individus : "C'est quelque chose dont j'ai souvent parlé parce que c'est très important pour moi. On le vit dans notre vie à tous ou toutes, des moments dans lesquels on vit une mauvaise journée au travail, on vit une mauvaise journée dans sa vie et le soir, on rentre chez soi et on est agressif ou agressive avec une personne qu'on aime et on se dit 'mais pourquoi j'ai fait ça ?' Et on s'en veut, parce qu'on sent que cette violence ne nous a pas appartenu, qu'elle nous a comme traversé. Qu'est-ce que ça voudrait dire de comprendre le monde à travers une analyse de la violence, non pas comme un objet, une propriété, un sceptre, mais comme un courant qui n'appartient à personne ? Et comment on fait pour sortir de ce courant, pour faire que la violence qui nous a affectés ne devienne pas une violence qu'on rabat sur les autres ? C'est la question de mon livre."

-> Pour en savoir plus, écoutez cette émission...

51 min

Références :

Au cours de l'entretien, Édouard Louis fait référence au dernier roman de Toni Morrison, Délivrances (God Help the Child), publié en avril 2015, ouvrage dans lequel la violence raciste circule. Il évoque le fait que la violence fonctionne non par des individus mais par des courants qu'il est possible de tordre par la revanche ou par la beauté.
Il cite également Primo Levi et recommande deux ouvrages à lire : Autobiographie du rouge d'Anne Carson et Mr. Potter de Jamaica Kincaid.

58 min

Découverte de l'invité :
Pour Édouard Louis, « la seule manière de revenir sur mon passé, c’est de l’écrire. il n’y aurait que l’écrit qui me permettrait de revenir dans le passé, le corps ne peut plus le faire, ni la géographie. C’est le sens de ce que raconte Victor Hugo : à un moment donné où si l'on veut comprendre le passé, il ne nous reste plus que le langage, il faut abandonner le corps parce qu’on sera déçu. Comme Hugo l'écrivait dans son poème Tristesse d'Olympio : on est face à sa maison et elle ne nous reconnaît plus. »

Le vers extrait du poème « Tristesse d'Olympio » que Victor Hugo a publié dans son recueil Les rayons et les ombres (1840) :
« N'existons-nous donc plus ?
Avons-nous eu notre heure ? 
Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus ? 
L'air joue avec la branche au moment où je pleure ; 
Ma maison me regarde et ne me connaît plus. »

Choix musicaux de l'invité :
Édouard Louis a choisi le morceau Deadly Valentine de Charlotte Gainsbourg : « Cette chanson me fait danser, me donne de la joie, c'est par amour pur et simple que je l'ai choisie. »
Il a également voulu diffuser le titre White dress (2021) de la chanteuse américaine Lana del Rey : « ce que je trouve incroyable c'est que Lana del Rey chante des notes qu'elle ne peut pas chanter, elle pousse très fort sur sa voix. Quand je l'ai entendue la première fois, j'ai trouvé que c'était comme une autorisation à échouer, à être vulnérable, à ne pas toujours y arriver. Et encore une fois, quelque chose de tellement libérateur. Cette chanson transforme l'échec en quelque chose de beau et, comme l'échec fait partie de ma vie, j'en ai besoin. »

Extraits : 
En premier extrait, nous diffusons quelques notes du titre Envole-moi (1984) de Jean-Jacques Goldman. Enfin, nous entendons la voix d'Annie Ernaux au micro de Rebecca Manzoni dans Eclectik sur France Inter en 2011 et celle du réalisateur britannique Ken Loach au micro de Caroline Broué dans La Grande Table sur France Culture en 2014.

À écouter : Annie Ernaux
Eclectik
45 min

Programmation musicale :
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- Kali Uchis – Te mata

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