Au pouvoir depuis 2010, largement réélu en 2022, Viktor Orbán a engagé des réformes mettant à mal plusieurs principes démocratiques en Hongrie. Qualifiant lui-même sa politique d'"illibérale", comment analyser cette notion ? La Hongrie peut-elle se définir par "l'illibéralisme" ?
- Antonela Capelle-Pogăcean Chargée de recherche Sciences Po au CERI (Centre d’Etudes et de Recherches Internationales) et enseignante à Sciences Po Dijon
- Gábor Erőss Docteur en sociologie membre de la direction du parti écologiste Párbeszéd et adjoint au maire du 8e arrondissement de Budapest
- Béatrice Bouniol Journaliste au quotidien La Croix
Le terme illibéralisme, inventé en 1990 par Fareed Zakaria, un journaliste et chercheur états-unien, a connu un essor considérable depuis une quinzaine d’années. Repris par le premier ministre hongrois Viktor Orbán pour désigner sa propre politique, il définit la Hongrie qu’il dirige sans discontinuer depuis 2010 avec l’expression de "démocratie illibérale".
Mais l’imprécision du terme, comme celui de populisme, permet-elle de rendre compte de la situation des droits dans ce pays, des rapports de pouvoir entre la société civile et le gouvernement de M. Orbán ?
Ce terme imprécis permet-il de comprendre également, à quelques mois des élections européennes, pourquoi l’Union européenne n’a pas été plus radicale dans ses sanctions, déjà nombreuses, contre la Hongrie ?
Quel sens donner au terme « Illibéralisme » dans le cas de la politique hongroise ?
Antonella Capelle-Pogăcean : «Il faut rappeler qu'au moment où Viktor Orbán utilise pour la première fois ce terme pour définir le régime qu'il souhaite construire en 2014, il se trouve dans une position délicate, avec un score électoral en déclin par rapport à sa première élection en 2010. Donc selon moi, il utilise cette notion dans le but de stabiliser son électorat. Or, lorsqu'il parle de « démocratie illibérale », il en fait un usage politique pour marquer la différence avec les gouvernements précédents, libéraux et socialistes. Pour son électorat, à ce moment-là, le terme libéral est une catégorie négative. Ainsi, dire qu'on est illibéraux, c’est souligner qu'on ne va pas rester dans les mêmes logiques ».
Pour Gábor Erőss, l’utilisation de ce terme n’était pas uniquement pour conquérir son éléctorat : « Quand Viktor Orbán a commencé à utiliser ce terme je pense que ce n'était pas pour s'adresser aux politistes ou même à son électorat, c'était plutôt pour s'appuyer sur une connotation antisémite du terme « libéralisme ». En effet, il me semble que c'était plutôt pour raviver, en partie, ces relents antisémites d'une droite profonde ». Mais, selon lui, le terme d’ « illibéralisme » ne permet pas de comprendre la politique hongroise : « Si je devais choisir un terme pour définir le régime hongrois je parlerais plutôt d’autocratie électorale ou bien d'une dictature post-moderne. En effet, aujourd’hui, tout ce qui se passe dans ce pays se passe selon la volonté d'un seul et même homme. Ainsi, nous pouvons parler de dictature, mais pas dans le même sens totalitaire que durant le XXe siècle.
La remise en cause de l’Etat de droit
Antonella Capelle-Pogăcean revient sur l’usage de la loi en Hongrie : « C’est difficile de définir ce que nous pouvons faire ou pas en Hongrie, il y a plusieurs zones grises avec lesquelles le gouvernement joue. Par exemple, le gouvernement vient d'adopter une loi sur la souveraineté nationale qui vise à mettre sous contrôle des organisations, des partis et leurs financements étrangers. Mais la loi est tellement peu claire que finalement, elle peut être utilisée comme un système d'intimidation des différents acteurs. Donc ça c'est un bon exemple pour illustrer la manière dont l'usage de la loi peut créer des zones floues où tout individu, toute organisation, que ce soit des ONG ou des partis politiques, peuvent se sentir en danger ».
Gábor Erőss précise les libertés qui sont désormais proscrites dans le pays : « Il y a eu récemment des manifestations pour contester le pouvoir en place et j’espère que cela a un peu ébranlé le régime. Toutefois, le quotidien d'opposition a été éradiqué, le parquet est dominé par le parti au pouvoir et le Conseil constitutionnel, la Commission électorale, qui devraient être dans une démocratie indépendants sont laminés. De plus, les ONG ont été à de multiples reprises l’objet de vagues successives d'attaques. Par exemple, il y a eu une campagne anti-norvégienne parce que la Norvège avait des fonds de soutien aux ONG féministes, environnementales, etc. Et donc, Viktor Orbán et les médias, ont mené une grande campagne contre la Norvège ».
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