IVG : la Constitution suffit-elle ?

Une manifestation de soutien à l'entrée de l'IVG dans la Constitution, près du Sénat, le 28 février 2024 ©AFP - KIRAN RIDLEY / AFP
Une manifestation de soutien à l'entrée de l'IVG dans la Constitution, près du Sénat, le 28 février 2024 ©AFP - KIRAN RIDLEY / AFP
Une manifestation de soutien à l'entrée de l'IVG dans la Constitution, près du Sénat, le 28 février 2024 ©AFP - KIRAN RIDLEY / AFP
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Après le vote massif du Sénat, l'entrée de l'IVG dans la Constitution est quasi certaine. Cette réforme consacre une liberté essentielle. Mais sur le terrain, l'accès à l'IVG sera-t-il plus facile ?

Le suspense est terminé. Lundi, à Versailles, quand le Parlement se réunira en Congrès, il votera l'entrée de l'IVG dans la Constitution. Il faut le voir comme verrou, une sécurité, au plus haut niveau. Hier, au Sénat, la droite et le centre étaient divisés, mais ils ont tranché, et massivement ils soutiennent la réforme, avec les mêmes mots que les députés. Je vous les lis, car c’est historique : "La loi détermine les conditions dans lesquelles s'exerce la liberté garantie à la femme d'avoir recours à une interruption volontaire de grossesse".

Le droit à l’avortement est-il menacé en France ? Non. Mais avec ce vote, le Parlement regarde le reste du monde, et  l’avenir aussi. Où en serons-nous demain ? La France peut-elle se retrouver un jour dans la même situation que les Etats-Unis ou la Pologne ? Les adversaires de l’IVG n’ont pas disparu. Ce vote est une prise de conscience.

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Politiquement, il est intéressant aussi. C’est une victoire collective. Du chef de l’Etat, d'abord, qui a défendu cette mesure, qui a tout fait pour l’inscrire dans la Constitution -  sa première réforme constitutionnelle. Mais je parle de victoire collective car des élus de tous bords se sont battus. Au départ, vous aviez une proposition de La France insoumise, suivie d’un accord avec la majorité. Les Républicains et le Rassemblement national l’ont acceptée, en majorité là encore, après des discussions agitées. La vie politique a beau être ultra-polarisée, sun sujet de société majeur, des compromis sont toujours possibles. Pour la démocratie, c’est rassurant.

Le Billet politique
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Remarquez une chose, encore : ce combat, des femmes politiques l’ont porté. Dans la majorité et dans l’opposition, de Mathilde Panot à Aurore Bergé. Des femmes en politique, près de cinquante ans après le combat de Simone Veil, ce n’est pas rien.

L'illusion constitutionnelle

Pourtant, après ce vote, il y a un risque : imaginer que tout est réglé. Aujourd’hui, quel est le problème pour les femmes qui veulent avorter ? Ce n’est pas la loi ; c'est l’accès à l’IVG, sa réalité. Cet accès est de plus en plus difficile. Vous connaissez l’état de notre système de santé. Des dizaines de services gynécologiques ont disparu. D’après le Planning familial, en quinze ans, 130 centres IVG ont fermé. Si vous avez besoin d’avorter, pour trouver un professionnel ou une professionnelle, parfois vous devez changer de région. Le risque est là. Un décalage entre une garantie formelle et un accès réel. La Constitution n’est pas magique. Elle ne fait pas disparaître les difficultés. Attention à l’illusion constitutionnelle !

Pour faire passer certaines réformes, le gouvernement a besoin de retoucher la Constitution. Avec le Parlement, il la fait vivre. Pour la suite du quinquennat, Emmanuel Macron a prévu cinq réformes constitutionnelles, sur la Nouvelle-Calédonie ou encore sur l’autonomie de la Corse. Mais il veut aussi réformer la Constitution pour régler la crise migratoire à Mayotte, en supprimant le droit du sol, sur l’île – une réforme très contestée, je vous en parlais l’autre jour. Les Républicains et le Rassemblement national veulent aller plus loin encore, sur la politique migratoire en général. Pour eux, rien n’est possible si on ne réforme pas d’abord la Constitution !

Communication et surenchère

Le texte de 1958 devient un objet de surenchère, surtout en période de majorité relative. Sur le thème : puisqu’on ne peut pas changer la loi, essayons de changer la Constitution ! Même si une réforme a peu de chance d’aboutir. C’est la nouvelle manière de dire : « Regardez, nous prenons ce sujet au sérieux ! ». La loi fondamentale devient un "outil de communication politique" - l’expression est de Manuel Valls, il y a quelques jours, dans le journal Le Monde.

Voilà le risque d’illusion. Discuter sur les principes, les faire évoluer, en oubliant la réalité, le terrain, sa complexité. Le risque d’une politique hors-sol. Les symboles sont essentiels. Ils ne suffisent pas.

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