Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 31 mai 2024 : le comédien, réalisateur, metteur en scène et scénariste, Jacques Weber. Seul en scène, il reprend au théâtre des Bouffes Parisiens la pièce de Pascal Rambert "Ranger", pour 25 représentations exceptionnelles.
Jacques Weber est un artiste aux multiples casquettes : réalisateur, scénariste, metteur en scène. Le public le suit depuis notamment R.A.S d'Yves Boisset, sorti en 1973. Costa-Gavras, Luis Buñuel, Philippe Labro, Claude Lelouch, Maïwenn, entre autres, lui ont toujours offert des rôles forts, incarnés, parfois sur mesure, avec à la clé le César du meilleur acteur dans un second rôle en 1991 pour le rôle de Guiche dans Cyrano de Bergerac de Jean-Paul Rappeneau. Jusqu’au 29 juin prochain, il est sur scène avec Ranger de Pascal Rambert aux Bouffes Parisiens. Une pièce totalement écrite pour lui et avec lui.
franceinfo : Cette pièce est un monologue. Elle vous offre un tête-à-tête avec le public, franc, direct, sans artifice. J'ai l'impression que vous êtes même face à vous-même à travers cette pièce.
Jacques Weber : Ce n'est pas tout à fait un monologue et c'est justement ce qui est intéressant. C'est que je m'adresse à une photo de ma femme décédée un an auparavant. Et alors, ne nous inquiétons pas, ce n'est pas une pièce épouvantablement noire sur la mort d'un être cher, au contraire, je crois que c'est tout simplement une très grande pièce d'amour. J'ai vraiment eu cette sensation très étrange qu'à un moment, la photo prenait vie et que quelque chose était palpable et vivant dans cette photo, qui plus est parce que c'est quelqu'un que j'ai choisi, qui est aussi décédé et que j'aimais énormément. Et c'est vrai que c'est très troublant et c'est ce qui fait peut-être l'originalité de la tonalité du spectacle.
C'est aussi une déclaration d'amour aux femmes. J'ai l'impression que c'est une façon de remettre au centre l'importance des femmes dans votre vie, dans la construction d'un homme, en général.
Oui, mais de toute façon, on est issu de vous, Mesdames. C'est d'ailleurs votre formidable supériorité. Marguerite Duras parle parfaitement de tout ça. C'est tout à fait intéressant et je crois que cette forme de "supériorité", c'est sans doute ça qui a fait que sont nées des religions qui sont coupables d’un milliard des maux de notre monde, mais c'est peut-être de cela qu'est née cette volonté du patriarcat, cette volonté de nous défendre à tout prix, de cette supériorité que l'on sent malgré nous. Jamais nous n'aurons la création de la vie dans le ventre, jamais. Nous n'en serons que les observateurs.
Avez-vous le sentiment que la condition des femmes, le regard sur les femmes, l'évolution des femmes dans ce métier, que ce soit au théâtre ou au cinéma, évolue après la polémique autour de Gérard Depardieu ?
Je crois que oui.
"Toute révolution génère forcément ces excès, ces dérapages. On ne peut pas l'éviter. On ne peut pas être contre cette révolution sous prétexte qu'il y a des dérapages."
C'est certain que si des hommes sont mis à terre et conspués sur la place publique, alors même qu'ils n'ont pas encore été jugés, ça pose problème quoi qu'il arrive. Il y a aussi d'autres problèmes. Il y a le fait que l'on est totalement coupé en deux. Moi, c'est ce qui m'est arrivé. Entre l'amitié, l'admiration profonde qu'on peut éprouver pour un individu, et puis ce qui se passe autour de lui par rapport aux femmes, c'est vrai que c'est très difficile à aménager dans sa tête.
Dans ce rendez-vous avec cette femme à travers ce cadre, il y a cette notion d’absence qui est extrêmement présente et vous dites : "L’absence se vit dans le corps". Qu’est-ce que l’absence ?
L’absence d’un être aimé est quelque chose d’absolument considérable puisqu’il n’y a pas d'aller-retour. Dans la vie de tous les jours, il y a un aller-retour permanent. Là, il y a une simple trajectoire entre le monde des morts et des vivants, et Dieu sait si le monde des morts nous préoccupe. Sans avoir le goût du paradoxe ou du jeu de mots, j’ai vraiment l’impression que l’absence, c’est peut-être ce qui a de plus présent en nous.
Ce qui frappe dans cette pièce et ce qui prend vraiment aux tripes, c'est la solitude de cet homme. Comment vivez-vous la solitude ? En avez-vous besoin dans votre vie ou est-ce qu'elle vous fait peur ?
Si jamais ma chère et tendre venait à disparaître avant moi, je ne serais plus rien du tout, j'en suis sûr. Je pense qu'on n'est jamais seul. C'est-à-dire que la seule chose que je n'aimais pas jouer dans Cyrano, c'était cette phrase qui pour moi ne veut rien dire : "Ne pas monter bien haut peut-être, mais tout seul", c'est faux.
"On est jamais seul lorsqu'on crée, lorsqu'on joue, lorsqu'on vit parce que c'est le partage."
Que représente ce métier d'acteur dans votre vie ?
S'il n'est plus là, tout s'effondre et je suis une espèce de magma de cellules. Mais profondément, qu'est-ce que notre métier dit maintenant ? Qu'est-ce qu'il va devenir puisque ça change énormément ? De plus en plus de gens sont aptes à jouer parce qu'ils sont de plus en plus libres et c'est magnifique, c'est très bien donc je ne sais pas ce qu'il va devenir. Le statut professionnel est relativement récent, alors je ne sais pas.
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