Alors que son très beau livre “La plus précieuse des marchandises” a été adapté en film d’animation par Michel Hazanavicius, on peut également goûter l’écriture de Jean-Claude Grumberg sur la scène de la Scala, où se joue sa pièce “Moman, Pourquoi les méchants sont méchants ?”. Rencontre.
- Jean-Claude Grumberg Dramaturge, écrivain.
Il est l'un des dramaturges contemporains les plus joués. Depuis plus de 50 ans, Jean-Claude Grumberg écrit pour le théâtre, le cinéma, la télévision, et la littérature. Fils de parents juifs ashkénazes travaillant dans des ateliers de confection du 10ème arrondissement de Paris, enfant caché pendant la Seconde Guerre mondiale, son père et son grand-père sont déportés lorsqu'il a 3 ans : cette histoire familiale traumatique habite chacune des pièces de Jean-Claude Grumberg. Alors qu'il quitte l'école à 14 ans pour devenir apprenti tailleur, il commence le théâtre dans les Jeunesses communistes, et à 18 ans décide de devenir comédien. Il commence dans la compagnie comique de Jacques Fabbri et écrit sa première pièce en adaptant une nouvelle de Tchekhov pendant une tournée. Ses premières pièces ne sont pas jouées, jusqu'à ce qu'il rencontre Frédérique Ruchaud, Jean-Pierre Miquel et Marcel Cuvelier qui mettent en scène pour la première fois ses pièces en 1967 et 1968. Son premier succès intervient avec Demain, une fenêtre sur rue, pièce montée par Marcel Cuvelier au Théâtre de l’Alliance Française. Très rapidement, grâce au soutien de Pierre Dux et Jean-Pierre Miquel, Jean-Claude Grumberg voit ses pièces jouées par la troupe de la Comédie-Française, et notamment L'Atelier (1979), un hommage à sa mère qui restera son plus grand succès. Il entre même au répertoire en 2000 avec Amorphe d’Ottenburg, fait rarissime pour un auteur vivant. En parallèle de son activité de dramaturge, Jean-Claude Grumberg écrit pour la télévision, notamment Thérèse Humbert (1983) pour Simone Signoret, et le cinéma, il collabore avec François Truffaut pour Le Dernier Métro (1980) et co-écrit 5 films avec Costa-Gavras. Dernièrement, après avoir rencontré l'éditeur Maurice Olender du Seuil, Jean-Claude Grumberg a publié des récits plus personnels, Mon père, inventaire (2003), Jacqueline, Jacqueline (2021), et des contes, La plus précieuse des marchandises (2019) qui connait un succès mondial, et De Pitchik à Pitchouk (2023).
À La Scala, Hervé Pierre et Clotilde Mollet jouent Moman, Pourquoi les méchants sont méchants, une pièce de Jean-Claude Grumberg. L'occasion pour Arnaud Laporte de l'accueillir pour parcourir ensemble 60 ans d'écriture, sous toutes ses formes.
Le choc Samuel Beckett
Le choc théâtral majeur de Jean-Claude Grumberg est En attendant Godot de Samuel Beckett. Il revient au cours de l'entretien sur son amour pour ce texte :
"Un jour, quelqu'un m'a donné à lire "En attendant Godot". Je n'ai rien compris quand je l'ai lu pour la première fois. C'est un copain, le père de Michel Hazanavicius, qui ne voulait pas faire de théâtre, qui m'a expliqué ce que c'était que Godot. Je me suis ensuite retrouvé animateur au club olympique et j'ai invité un copain, René, à jouer la première partie de la pièce pour les clients. Ils nous ont tous demandé : "Comment ça se finit ?". Alors, je leur répétais : "Comme ça commence !" Je dois dire que sans Beckett, et sans doute sans Ionesco, je n'aurais pas écrit pour le théâtre. C'est ceux qui ont ouvert la porte à des gens comme moi, car n'était pas de la grande langue, ni de la philosophie. En plus, Godot est une pièce réaliste. Pendant la guerre, il fait les vendanges avec des gens sans papiers qui se cachent, et qui sont sans doute en majorité juifs. Quand on le lit comme ça, ce n'est pas si absurde, c'est le monde qui est absurde autour d'eux."
Écrire, une affaire qui devient intime
Si le premier succès de Jean-Claude Grumberg est Demain, une fenêtre sur rue, un tournant s’opère dans son rapport à l’écriture avec la pièce Chez Pierrot, qu'il écrit d’une traite après que sa femme et lui aient perdu leur bébé âgé de quatre mois. À partir de cette pièce, Jean-Claude Grumberg s’attelle à traiter des sujets qui l’habitent :
"En tant qu'auteur, je me disais qu'il fallait que j'écrive quelque chose pour le proposer à Jean Richard ou à une vedette quelconque. Comme tout le monde, je pensais qu'il fallait que je gagne de l'argent. Or, je me suis aperçu, sous le coup de la douleur et de la colère, qu'on n'écrivait pas pour gagner sa vie, mais pour soulager son âme ou sa douleur. Je n'ai pas pu revenir en arrière. Il fallait qu'il y ait quelque chose qui rejoigne quelque chose de nécessaire en moi, y compris pour les propositions de cinéma."
Scénariste pour le cinéma et la télévision
Jean-Claude Grumberg écrit également pour le cinéma et la télévision, avec une fidélité pour Costa-Gavras notamment. Au cours de l'entretien, il revient sur l'écriture de Thérèse Humbert (1983), téléfilm réalisé par Marcel Bluwal, qu'il écrit à la demande de Simone Signoret :
"Thérèse Humbert, c'est la première fois que j'écris pour la télévision. J'ai eu la liberté d'écrire ce qu'on appelle aujourd'hui une mini-série. Bluwal m'a raconté ce qui s'était passé. Les producteurs avaient le texte sous les yeux, et disaient : "Mme Signoret, M. Bluwal, votre auteur écrit des dialogues très longs, il ne sait pas écrire pour la télévision, c'est affreux, qu'est-ce qu'on va faire ?" Alors Signoret disait : "Oui, vous avez raison, alors qu'est-ce qu'on va faire ? Eh bien, on va tourner exactement ce qu'il écrit, parce que c'est lui l'auteur." J'ai donc été protégé. Ça a été une chance et en même temps une tentation, car si on est si libre que ça, pourquoi se casser les pieds à écrire du théâtre ? J'ai compris qu'il y avait un danger. Après Thérèse Humbert, je me suis donc mis à refuser tous les réalisateurs qui venaient me demander. J'avais besoin de dire "non" violemment. J'ai dit non à Alain Resnais, à Claude Sautet, etc. On aurait pu avoir une belle maison au bord de la mer, mais je ne le regrette pas. Il y a quelque chose en moi qui ne voulait pas. La différence, c'est que quand vous écrivez une pièce, vous êtes l'auteur de la pièce. Quand vous écrivez un scénario, vous êtes l'auteur du scénario. Le film, c'est le réalisateur. Dans ma tête, je voulais être l'auteur."
Pour en savoir plus sur ses actualités :
- Moman, Pourquoi les méchants sont méchants ? de Jean-Claude Grumberg se joue à la Scala Paris du 9 avril au 19 juin 2024, avec Hervé Pierre et Clotilde Mollet. C’est la vie qui va entre une mère et son fils, c’est l’enfance sans père, c’est une histoire pleine de fantômes, c’est un théâtre pour de grands enfants qui aiment leur mère. C’est une pièce sur le courage, la résistance à l’adversité. Et ça crie, ça pleure, ça chante, entre rêve et réalité, entre humour et gravité, pour le meilleur de l’humanité, entre tendresse et brutalité. Que devons-nous à nos mères dans ce que nous sommes devenus ?
- La pièce Dans le couloir est parue chez Actes Sud Papiers en mars 2024.
Le son du jour : "Revoir la mer" de Hannah Miette (feat. Frànçois Atlas)
Hannah Miette, en voilà un alias qui a du chic ! Derrière ce nom de scène se cache un certain Lucien Chatin. Batteur formé aux musiques actuelles et au jazz, il a pour habitude de soutenir, en studio ou sur scène, des artistes comme Claire Days, Raoul Vignal et This Is The Kit. Cette fois-ci, c’est à son tour de prendre un peu de lumière. Sous son pseudo, Hannah Miette donc, Lucien Chatin publie un album éponyme dont il signe la composition et les arrangements. Pour les voix, il a eu la bonne idée de convier des artistes qu’il apprécie à chanter sur certaines chansons, tout en leur laissant le champ libre pour les textes et les mélodies vocales. Margaux Delatour, Kate Stables, Rozi Plain, Blumi, et Frànçois Atlas se relaient ainsi en anglais et en français pour donner corps à cet album mosaïque de dix titres, habité par un état général de rêverie. Le morceau “Revoir la mer”, chanté par Frànçois Atlas, est notre son du jour.
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