"L’allumeuse" : déconstruction d’un mythe

Christine van Geen - Manon Jalibert
Christine van Geen - Manon Jalibert
Christine van Geen - Manon Jalibert
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Parmi les figures féminines qui structurent l’histoire de la misogynie, "l’allumeuse" a toujours servi à rendre les femmes coupables des violences dont elles sont victimes. La philosophe Christine Van Geen analyse ce prodigieux renversement, pour enfin mettre un terme à ce très ancien chantage.

Avec
  • Christine van Geen Journaliste

Il y a plusieurs façons de prendre part à la grande et nécessaire conversation autour des violences sexuelles et sexistes. L'une d'entre elles consiste à s'intéresser aux mots. Ce qu'ils révèlent de la structuration des rapports entre les sexes. Ce qu'ils disent de la représentation des désirs. Ce qu'ils racontent de violences sous-jacentes et de peurs. Et comment l'on peut, sans mal, avec un peu d'histoire et de temps, établir un continuum entre l'utilisation de certains termes et la perpétuation du cadre qui permet les violences, si souvent impunies. Parmi ces mots, la philosophe Christine Van Geen, choisit "allumeuse", auquel elle consacre  son dernier essai, paru chez Seuil.

L'allumeuse dans le continuum culturel de la violence

Christine van Geen : "Il n'est pas étonnant que les avocats de la défense des criminels et des agresseurs sexuels incriminent les victimes elles-mêmes en disant « elle portait tel vêtement, elle était dans tel lieu, elle était alcoolisée » alors que ce n'est évidemment pas du tout le problème. Ils doivent traduire la position de leur client. Et la vision du monde d'un agresseur sexuel, c'est que c'est comme ça : il peut prendre cette femme, cette jeune fille, parce que le fait qu'elle lui plaise équivaut au fait qu'elle a cherché à lui plaire. Il n'y a pas de différence entre "elle me plaît" et "elle l'a voulu, elle a cherché à me plaire". C'est un continuum entre la défense et le crime. Et c'est bien sûr dans les chansons, c'est dans les histoires.  On nous raconte depuis petite qu'il faut être la plus belle du bal, qu'il faut séduire le prince, donc il faut provoquer du désir chez lui. 3 Et l'instant d'après, on est provocatrice. Et à partir du moment où on est provocatrice, on n'a plus le droit de se plaindre si on nous agresse."

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Dans le Rétro
47 min
Le Regard culturel
3 min

Référence musicale

  • Anne Sylvestre, Douce Maison

Archives

  • Vladimir Nabokov interviewé par Bernard Pivot en 1975 au sujet de Lolita

La note vocale

La question de Solveig @sorciere.misandre : "Vous avez choisi un corpus vaste pour parler de ce mythe de l'allumeuse, et en même temps, votre essai vient directement cogner contre nos expériences personnelles. Il s'adresse à des lecteurs de sciences humaines, mais également à des non-lecteurs de sciences humaines. Vous avez montré à quel point la société a besoin des allumeuses, car sans elles, plus de transfert de responsabilité est possible et il faut répondre de ses actions. Comment créer de nouveaux référentiels ou comment s'affranchir de ces mythes d'allumeuses pour revendiquer désormais des femmes désirantes et sans honte ?"

La réponse de Christine van Geen : "Je dirais qu'il ne faut peut-être pas trop se préoccuper de la représentation qu'on est en train de produire, parce que c'est quand même tout ce qu'on a fait depuis si longtemps. Mais déjà, rendre à chacun ce qui lui appartient. Si elles produisent du désir chez quelqu'un, ça peut être super si c'est leur intention ou si ça vient rencontrer quelque chose chez elles. Mais dans le cas contraire, cela lui appartient.  Et on n'est pas tenu par ce désir, on n'est pas obligé par le désir de l'autre. Ce sont toutes ces interprétations a posteriori, de grandes figures, d'Ève à Salomé en passant par Cassandre, qui font de ces filles, de ces femmes, de grandes coupables d'avoir allumé des hommes, les pauvres, rendus fous de désir, qui ne pouvaient qu'assouvir avec elles leurs pulsions. Chaque fois, l'histoire est la même. C'est ce que les interprétations ultérieures du mythe retiennent."

Le Grand Jeu des Pages Musicales

Comme chaque jour en fin d’émission, l’heure est venue de jouer à notre grand jeu des pages musicales. Pour jouer avec nous, c’est très simple : si vous repérez, au gré d’une de vos lectures, un passage qui évoque un morceau de musique, prenez-le en photo ou relevez le texte par écrit, et envoyez-le-nous via le compte Instagram de l’émission ou sur notre mail "lebookclub@radiofrance.com".

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