La justice pénale internationale a suscité beaucoup d’espoir… et a fait couler beaucoup d’encre. Aujourd'hui, c'est du côté des accusés que nous nous placerons. Pour en parler, Damien Scalia, professeur de droit et Stéphanie Maupas, journaliste spécialisée sur la justice pénale internationale.
- Damien Scalia Professeur de droit à l’Université libre de Bruxelles
- Stéphanie Maupas Journaliste indépendante spécialisée sur la justice pénale internationale
On ne compte plus les ouvrages traitant des procès sous tous ses angles : historique, sociologique, juridique bien sûr ; tous les angles, sauf un : celui des accusés eux-mêmes. Peut-être parce qu’on a trop vite considéré que s’intéresser à leur point de vue sur la justice, c’était un peu comme demander la recette du poulet au citron au poulet lui-même !
Et pourtant, les accusés ont des choses à dire sur leurs attentes, leurs perception, la justice elle-même. Encore faut-il leur donner la parole, tâche à laquelle un chercheur s’est attelé, non pas pour étudier leur passage à l’acte criminel, ni pour tenter de comprendre ce qui les a amenés à commettre de tels actes ; non, mais pour recueillir leur retour sur cette expérience souvent cruelle pour eux que fut leur arrestation, leur comparution devant des juridictions phares que sont les tribunaux internationaux. On imagine aisément que ce retour sera négatif notamment de la part de ceux qui ont été condamnés mais l’on est surpris de constater que le jugement converge avec celui de ceux qui ont été acquittés.
Damien Scalia "L'idée (du livre) a été une réunion au Comité international de la Croix-Rouge, il y a plusieurs années maintenant (12/13 ans) dans laquelle, en fait, on se demandait avec plusieurs experts, quel était l'impact du droit sur les combattants sur les terrains de guerre. Et après quelques jours de réunions, on s'est vite aperçus qu'on avait eu l'avis des victimes, des juges, des procureurs, des combattants, mais jamais l'avis des criminels eux-mêmes, des personnes condamnées."
Stéphanie Maupas "J'ai l'impression qu'il y a une différence entre les niveaux hiérarchiques. Il y a ceux pour lesquels, en quelque sorte, la guerre est passée sous leurs fenêtres et ils sont entrés dans la guerre par inadvertance ou parce que le contexte était là, c'étaient les événements. Et puis, il y a ceux qui dirigent, qui ont planifié la guerre, qui sont les responsables de cette guerre. J'ai l'impression qu'il y a quand même deux comportements différents."
Comprendre la justice pénale internationale ni côté cour, ni côté jardin mais côté box des accusés : voilà le thème d’Esprit de justice avec Damien Scalia, Professeur de droit à l’Université libre de Bruxelles, qui vient de publier Génocidaire(s). Au cœur de la justice pénale internationale (Éditions Dalloz, 2023), et Stéphanie Maupas, journaliste indépendante spécialisée depuis des années sur la justice pénale internationale, qui a publié entre autres : Juges, bourreaux, victimes. Voyage dans les prétoires de la justice internationale (Éditions Autrement, 2008), et Le joker des puissants. Le grand roman de la Cour pénale internationale, (Éditions Don Quichotte, 2016).
Damien Scalia "Ce qui est intéressant, c'est leur positionnement pendant le procès, quand ils nous racontent quelle stratégie ils ont utilisé. [...] Et ce qui est intéressant aussi, c'est qu'on voit comment le droit pénal façonne tout leur positionnement pendant le procès, mais qu'en fait, ils sont complètement à côté de ce positionnement, voire leur positionnement est "obligé" par le procès pénal."
Pour aller plus loin
➢ Damien Scalia
• Sa présentation (site de l'Université Libre de Bruxelles) et sur le site du CRDP ( Centre de Recherches en Droit Pénal - Bruxelles).
• Ses publications et articles (site Cairn.info).
• Page de présentation de son ouvrage publié récemment, Génocidaire(s). Au cœur de la justice pénale internationale aux Éditions Dalloz (site de l'éditeur).
Damien Scalia "Quelques uns (des génocidaires) ont accepté la juridiction, mais la plupart, c'est vrai, la rejette. Alors, pour beaucoup, ils sont encore en détention, et au moment où je les ai vus, ils étaient en détention. Difficile d'oublier, quand on se trouve dans une prison au Mali, au Bénin ou en Estonie, alors que notre famille est à quatre ou 5000 kilomètres de là ! Et en même temps, c'est pas un rejet en bloc de la justice internationale pénale. Ils font une différence entre les organes, les moments de cette justice et, pour certains, reconnaissent que cette justice a eu au moins le mérite de les extraire d'un conflit national politique avec un risque d'être exécuté après un jugement, voire avant un jugement, dans certains cas."
➢ Stéphanie Maupas
• Ses pages de présentation : sur le réseau Linkedin, sa page twitter.
• Ses articles sur le site du Monde, sur le site de Mediapart, et sur le site de RFI.
• Ses publications et articles, sur le site Babelio et Cairn.info.
• Page de présentation de son ouvrage, Le joker des puissants publié aux Éditions Don Quichotte en 2016 (site Babelio).
Stéphanie Maupas "Pendant les procès, on voit aussi les accusés essayant de mettre tout ça sous la responsabilité collective. Alors, c'est beaucoup plus facile de la part des exécutants, qui essaient constamment de remettre ça soit sur leur supérieur hiérarchique, mais surtout sur la guerre : "c'est la guerre et moi je n'y suis pour rien, je suis tombé dedans."
Quelques références citées
- Page sur le fonctionnement de la justice internationale (site vie publique).
- Page sur Hermann Göring (1893-1946) et sur le procès de Nuremberg (1945/1946).
- Page sur Biljana Plavšić, ancienne présidente de l'entité serbe de Bosnie-Herzégovine.
- Page sur le film Les Tontons flingueurs.
- Page sur Gabriel Tarde (1843-1904), sociologue, psychologue, un des premiers penseurs de la criminologie moderne.
- Page sur Sigmund Freud (1856-1939).
- Page sur la common law, système juridique dont les règles sont principalement édictées par les tribunaux au fur et à mesure des décisions individuelles.
- Page sur François-Xavier Nsanzuwera, ancien avocat général au Bureau du Procureur du Tribunal pénal international pour le Rwanda.
- Page sur Carla Del Ponte, magistrate suisse.
- Site de la Cour internationale de La Haye.
- Page sur le tribunal pénal du Rwanda, à Arusha, en Tanzanie.
- Page sur le roman Le portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde.
- Page sur Hannah Arendt (1906-19745), politologue, philosophe et journaliste.
Damien Scalia "Ils ne comprennent pas tous le protocole, et la majorité, acquittés comme accusés et quel que soit le niveau hiérarchique. Ils ne le comprennent pas parce que c'est une justice qui, pour beaucoup, vient d'ailleurs. Les Rwandais diront : "elle vient des Blancs", Les ex-Yougoslaves diront : "elle vient de l'Occident", mais en gros, c'est une justice qu'ils voient comme étant imposée de l'extérieur. et on sait qu'une justice extérieure est toujours compliquée à obtenir leur légitimité."
Stéphanie Maupas "Je crois que ce qui les dérange le plus, c'est le fait que les juges ignorent totalement la situation du pays. Ils sont choqués, et vraiment choqués. Ils ne comprennent pas : "comment peut-on me juger alors qu'on ignore complètement mon histoire, ma culture ?" [...] Mais, n'est-ce pas tout l'intérêt de la justice internationale ? De mettre une distance avec les crimes qui touchent tout un peuple, pour pouvoir juger les auteurs de ces crimes, et le fait que ces juges là ne connaissent pas l'histoire ni les détails, finalement, est-ce que ce n'est pas ce qui leur permet de juger ?"
Damien Scalia "Je pense que c'est bien là le problème du pénal. En fait, il essentialise une personne par rapport à un acte, en oubliant tout le contexte et juger un acte sans comprendre, je pense que c'est une erreur, en tout cas pour l'avenir, pour les réponses qu'attendent les victimes et pour une reconstruction."
Extraits musicaux
- Morceau choisi par Stéphanie Maupas : " Sympathy for the devil " par The Rolling Stones - Album " Beggars Banquet " (1968).
- Morceau choisi par Damien Scalia : " La guerre" de Miossec - Album "Baiser" (1997).
L'équipe
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