La musique à l'école : qu'en disent les neurosciences ?

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La musique à l'école : qu'en disent les neurosciences ?

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Les effets de la musique sur le cerveau dans "Swinging the Brain", spectacle imaginé par Emmanuel Bigand et le Rolling Swing Quartet, Collège de France
Les effets de la musique sur le cerveau dans "Swinging the Brain", spectacle imaginé par Emmanuel Bigand et le Rolling Swing Quartet, Collège de France
© Radio France - Suzana Kubik

Que la musique soit bénéfique pour le cerveau n'est plus un scoop. Mais quel rôle joue-t-elle dans l'éducation ? Le Collège de France a réuni la fine fleur des neuroscientifiques de renommée internationale pour répondre à cette question, leurs recherches à l'appui.

"A l'heure où certains prétendent booster nos cerveaux avec les puces électroniques, il est important de rappeler que nos cerveaux sont déjà boostés par des outils culturels". Dès l'entrée en matière, Stanislas Dehaene, psychologue et professeur au Collège de France, donne le la. Dans le cadre du cycle des conférences " Agir pour l'éducation, un enjeu scientifique de la société" que propose l'institution ( en accès libre et en replay sur son site), une journée coorganisée avec  la Fondation Vareille, consacrée à la thématique Musique, cerveau et apprentissages scolaires : que dit la science ?, a réuni mercredi 22 mai spécialistes en neurosciences de la musique, musiciens et professionnels de l'éducation musicale.

"On avait besoin de faire le point sur les dernières avancées de la recherche sur les effets bénéfiques de la musique sur le cerveau et notamment sur celui des enfants, et de voir comment on pouvait transformer ces connaissances scientifiques vers les politiques éducatives," nous a expliqué Emmanuel Bigand, professeur de psychologie cognitive à l'Université de Bourgogne et coorganisateur de la rencontre.

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La musique, "le jackpot pour le cerveau"

Jouer d'un instrument ou chanter, sollicite un vaste réseau de circuits cérébraux. On peut dire, à raison, que la musique nous "prend la tête" : lecture de la partition, geste musical, écoute du son produit, planification et anticipation de la suite du morceau, ... Si en plus il s'agit de la musique d'ensemble, il y a l'écoute et la synchronisation avec les autres, musiciens ou chanteurs. En général, on joue ou chante pour éprouver du plaisir. Tout notre cerveau est mis à contribution, et les chercheurs parlent de la symphonie neuronale :

"La musique réveille tout un ensemble des processus dans le cerveau, liés à la cognition, aux émotions et à l'action, fait travailler différents réseaux en synchronie temporelle, qui a un rôle important pour la plasticité cérébrale, explique Emmanuel Bigand. Dans les systèmes éducatifs occidentaux, les élèves doivent rester assis et réguler leurs émotions : la cognition, l'émotion et l'action sont dissociés. Introduire la musique dans l'éducation permet aux enfants de construire une personnalité dans laquelle ces trois axes vont se développer de façon harmonieuse," constate le chercheur.

La pratique musicale est "le jackpot pour le cerveau", abonde  Nina Kraus, professeure de neurobiologie à l'université Northwestern de Chicago et l'une des meilleures spécialistes dans le domaine : "elle engage nos émotions, notre réflexion, nos connaissances, nos souvenirs, la manière dont nous bougeons et met tous nos autres sens en interaction."

"Les élèves musiciens sont de meilleurs élèves"

Les enseignants le savent : les élèves qui font de la musique sont de meilleurs élèves, raconte Nina Kraus. Mais la chercheuse a voulu savoir se qu'il se passe dans leurs cerveaux.

"Imaginez que le cerveau est une console de mixage, qui traite différents paramètres du son : hauteur, rythme, timbre... Un enfant qui est performant en lecture et en compétences langagières aura les modulateurs grand ouverts, alors que chez un enfant qui a des troubles de langage, les modulateurs seront baissés", décrit-elle. Avec ses équipes, la chercheuse a travaillé avec les écoles publiques de Chicago et  le Harmony Project, un programme d'éducation musicale dispensé dans les écoles publiques en zones défavorisées de Los Angeles. Grâce à l'imagerie cérébrale, elle a pu constater qu'au bout de deux ans de programme, la réponse neuronale au différents paramètres du son s'est améliorée chez les élèves musiciens par rapport au groupe contrôle.

"L'encodage du son s'est avéré beaucoup plus précis. Les élèves musiciens ont amélioré la discrimination sonore dans un environnement bruyant, ainsi que leurs compétences rythmiques. Or, nombreuses recherches démontrent que le rythme est relié au langage. Nous avons découvert que les enfants qui se synchronisent mieux sur le rythme auront les compétences de langage plus développées."

Un enfant qui est performant en lecture et en langage traitera le son de manière plus précise, alors qu'un enfant qui a des difficultés en langage aura probablement un traitement du son moins performant, explique Nina Kraus. "Puisque les réseaux dédiés à la parole et à la musique se chevauchent, et que la musique sollicite les réseau cognitifs, sensori-moteurs et le circuit du plaisir, nous pensons que l'éducation musicale est particulièrement efficace pour la plasticité du cerveau qui intervient dans l'écoute, la mémoire auditive, la parole et les apprentissages," conclut Nina Kraus.

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"Il existe une signature biologique de la pauvreté"

"Nous savons qu'il existe une signature biologique de la pauvreté," explique Nina Kraus. Les enfants des milieux défavorisés ont une représentation diminuée du son, en particulier concernant les paramètres liés au langage. "Si l'enfant grandit dans un environnement bruyant, avec les parents qui n'ont pas le temps de lui parler, lire, chanter, il ne développera pas la même compétence à donner un sens aux sons, à discriminer les sons particuliers. Le monde est bruyant, les classes aussi, ces enfants ont des cerveaux plus bruyants en termes d'activité électrique aléatoire et moins réactifs aux sons."

La pratique musicale peut renverser la donne, à condition qu'elle soit de qualité, régulière et qu'elle s'inscrive dans la durée. "Nous avons constaté que la pratique musicale peut effacer cette signature par le fait même qu'elle améliore le traitement du son dans le cerveau de ces enfants. Le bruit neuronal reste important, mais la réactivité au son, la reconnaissance de ses différents paramètres et détails s'est améliorée, avec des conséquences bénéfiques sur les compétences cognitives, motrices, sociales, sur le langage et même sur les émotions des enfants," se réjouit la chercheuse.

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"Les effets les plus significatifs avant 10 ans"

Et les changements les plus significatifs sont observés chez les enfants plus jeunes, souligne 
Assal Habibi, professeure de psychologie à l'Université de la Californie du sud. Elle a suivi les enfants des milieux défavorisés des écoles publiques de Los Angeles, qui ont eu des cours de musique selon les principes du programme El Sistema, quatre fois par semaine, de 6 à 10 ans. "Nous avons constaté que les élèves musiciens obtenaient de meilleurs résultats (par rapport au groupe sport et au groupe contrôle), non seulement dans les domaines liées à la pratique musicale (perception et mémoire auditive, compétences sensori-motrices), mais également dans les domaines plus éloignés, notamment dans les tâches impliquant les fonctions exécutives : l'inhibition, la mémoire de travail ou la flexibilité cognitive, compétences importantes pour la réussite scolaire, et même sociale, qu'il est crucial de développer pendant l'enfance."

La chercheuse rapporte également "une diminution des comportements agressifs et de l'hyperactivité" des enfants impliqués dans le programme. Les changements observés par les scientifiques ont été les plus significatifs dans les premières années du programme, pour atteindre un seuil vers l'âge de 10 ans.

"C'est une donnée très importante pour orienter les politiques éducatives, précise Assal Habibi. L'investissement dans l'éducation musicale dans le primaire a probablement plus d'effets bénéfiques que si l'éducation musicale est introduite plus tard dans la scolarité. Cela ne veut pas dire que la musique n'aura plus d'effet bénéfique sur le développement des adolescents, bien au contraire. Mais si elle peut contribuer à ce que les enfants soient meilleurs en langage, en lecture, en cognition, cela leur donnera un avantage académique sur les années à venir et une meilleure protection contre les troubles d'apprentissage, des problèmes d'impulsivité ou même d'addiction dans les années d'adolescence."

"Nous avons la responsabilité de faire les bons choix"

Les bénéfices qui durent toute la vie, selon Nina Kraus. "Avec le vieillissement, la réponse neuronale au son devient moins précise, mais chez les personnes qui ont fait ou font de la musique, les effets de l'âge sur le cerveau sont retardés. Nous avons donc la responsabilité de faire des bons choix pour la bonne santé de notre cerveau."

Et de communiquer auprès du grand public les découvertes scientifiques, rajoute Emmanuel Bigand. "C'est important que les décideurs politiques en soient convaincus afin de soutenir des politiques éducatives qui reconnaissent le rôle de la musique à l'école."

On ne se poserait jamais la question si la géographie a des effets bénéfiques pour le cerveau par exemple, conclut Maria Majno, vice-présidente de la Fondation Mariani, impliquée dans les recherches sur la musique et le cerveau, et d'El Sistema Europe.

"On est trop sévères avec la musique. Il est vrai que depuis 30 ans on mène des recherches de plus en plus pointues sur le sujet, et les effets bénéfiques de la musique sur le développement cognitif des enfants ne sont plus à démontrer. Mais en même temps, cela ne doit pas nous distraire du fait qu'on s'intéresse à l'enfant comme un tout. Et le prochain chapitre à écrire - surtout après le Covid, pendant lequel les enfants et les jeunes se sont spontanément tournés vers la musique pour surmonter l'isolement - est le rôle de la musique dans la santé, le bien-être et dans la construction des citoyens de demain."

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