Épisode 1 : Le Débarquement et la composition de maths

Jean Pivain, chez lui à Cherbourg, en mai 2024. Il avait 14 ans au moment de la Libération. - BENJAMIN ILLY / RADIO FRANCE
Jean Pivain, chez lui à Cherbourg, en mai 2024. Il avait 14 ans au moment de la Libération. - BENJAMIN ILLY / RADIO FRANCE
Jean Pivain, chez lui à Cherbourg, en mai 2024. Il avait 14 ans au moment de la Libération. - BENJAMIN ILLY / RADIO FRANCE
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À l'approche du 80e anniversaire du Débarquement, notre série vous emmène en Normandie, de Cherbourg à Saint James dans la Manche, avec le récit de Jean, 94 ans. Il raconte sa Normandie devenue un champ de ruines après les combats, mais aussi les verres de calva offerts aux soldats américains.

Jean Pivain, avait 14 ans au moment de la Libération. Originaire de Cherbourg, il habitait dans le quartier maritime et l'un de ses premiers souvenirs de la guerre a été la distribution de masques à gaz. "C'était presque un jeu d'avoir notre masque à gaz, avec notre cartable, c'était assez amusant", raconte-t-il.

De 1940 à 1944, il se rappelle une période très difficile parce que "les Allemands réquisitionnaient pratiquement tout." En 1942, le gouvernement de Vichy a fini par imposer des restrictions et des tickets pour acheter du pain, de la viande ou encore un sac de charbon. "Nos mères allaient faire la queue, mais elles n'étaient pas certaines d'être servies", explique Jean. Une situation dont les enfants n'avaient pas conscience puisque les mères ne leur disaient rien pour les protéger. "S'il fallait se priver, c'était elles qui se privaient, pas nous."

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En pension à l'abri des bombardements

Pour fuir les combats, Jean s'est retrouvé en pension à Saint-James, à plus de 150 km au sud de Cherbourg. Le jour du débarquement, le 6 juin, il était en cours de maths, lorsque son professeur a annoncé aux élèves que les Anglais avaient débarqué sur les côtes du Calvados, mais qu'ils allaient quand même faire leur composition de maths.

Au moment des vacances le 30 juin, le maire de Saint-James et le directeur de la pension, ne voulant pas exposer les enfants aux combats, ont réparti les enfants dans les fermes des alentours. "Je me suis retrouvé chez deux paysans charmants dont je garde un souvenir formidable, explique Jean. Ils m'ont accueilli comme leur fils".

"Vers la fin juillet, ce qui nous a surpris, c'est qu'on a vu les Allemands en déroute, raconte Jean. C'était la débâcle, parce que tous les moyens étaient bons pour filer, comme des vieux vélos ou des voitures à cheval". Un matin, un des paysans chez qui il était lui indique des soldats américains dans l'un des champs de la ferme. Il a alors donné à Jean une bouteille de calvados pour leur souhaiter la bienvenue. "J'ai fait tout le tour du champ avec mon petit verre de vin et je leur versais un petit verre de calva et ils buvaient ça comme les cow-boys, explique Jean. C'est un souvenir que j'ai de rigolo, parce que ce jour-là, j'ai entendu au moins 50 ou 60 'Good ! Oh yes !'".

Le retour à Cherbourg

À partir du 7 août, des autocars venus de Cherbourg sont venus chercher les enfants. C'est lors de la traversée de tout le département que de la Manche que Jean s'est rendu compte des dégâts et des destructions d'Avranches, à Valognes, en passant par Saint-Lô, surnommée "La capitale des ruines". "L'image que j'ai, c'est cette image de destruction de toute la Manche, se souvient Jean. Quand les Américains sont arrivés, les gens les ont accueillis, mais tout le monde ne les a pas accueillis dans la joie. Je trouve que parfois, la Libération, quand elle est montrée par les Américains, il y a une forme de propagande. C'est pour ça que la Libération, ce sont des larmes et du sang. Des larmes de joie, mais aussi de détresse."

Jean se rappelle aussi le traitement réservé aux soldats afro-américains, qui n'avaient pas le droit de combattre, mais qui s'occupaient des tâches de débarquement et de logistique. "Ça, ça m'a choqué, explique Jean. Les soldats afro-américains étaient considérés, comme une basse classe par les Américains."

Avec la guerre, Jean a eu l'impression d'être adulte rapidement. "Ça forge les gens, dit-il. Par contre, il y a quelque chose, que j'ai remarqué, qui a été formidable, c'est qu'à partir de la Libération, les gens ont découvert la liberté et c'était quelque chose d'inimaginable. Je me demande si les jeunes se rendent compte de ce que le mot liberté signifie".

Son premier geste de liberté a été de se retrouver dans les bras de sa mère. "Même si on n'avait rien, les gens étaient heureux, raconte Jean avec émotion. Vous savez, que maudite soit la guerre, c'est que des souffrances morales et physiques. Une fois qu'on a été libérés, la vie a repris, je ne dirais pas normalement, mais on a commencé à remanger des oranges et du chocolat, dont on avait été privés pendant quatre ans. C'est quand même important, dites aux jeunes, ce que c'est d'être pendant quatre ans sans manger une orange."

"Le débarquement et la composition de maths", épisode réalisé par Benjamin Illy. "Les enfants de la Libération", un podcast original franceinfo en partenariat avec la Mission Libération, à retrouver sur franceinfo.fr, l'application Radio France et plusieurs autres plateformes comme Apple podcasts, Podcast Addict, Spotify, ou Deezer.

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