À l’occasion de la parution de “Prière aux vivants pour leur pardonner d’être vivants”, le Book Club se penche aujourd’hui sur la poésie de Charlotte Delbo, déportée et rescapée des camps. Nous l'évoquons avec Ghislaine Dunant, sa biographe, et Catherine Coquio, professeure de littérature comparée.
- Ghislaine Dunant Écrivain
- Catherine Coquio Professeure de littérature comparée à l’université Paris-Diderot.
Charlotte Delbo est née en 1913, elle est morte en 1985, elle a été déportée à Auschwitz-Birkenau puis à Ravensbrück en tant que résistante. Sa littérature est profondément marquée par cette expérience concentrationnaire sans y être réduite. Elle n'a jamais publié de recueil de poésie de son vivant, pourtant, c'est par la poésie qu'elle commence sa vie d'autrice dans la revue de Pierre Seghers dès son retour de déportation. Les poèmes dès lors seront dans tous ces livres, publiés bien plus tard, comme une bousculade du rythme de la prose. Pour la première fois, les éditions de Minuit réunissent l'œuvre poétique de Charlotte Delbo, dont une part est inédite dans un seul ouvrage.
Une expressivité poétique puissante
Catherine Coquio : "Ce qui est très frappant, c'est à quel point tout de suite, elle a une puissance de distanciation, c'est à la fois dans la distance et de l'extrême proximité qu'elle travaille, dans le très grand, le surplomb et l'extrême, l'infime, le geste infime. Il y a une construction d'ordre poétique. D'ailleurs, elle dit qu'elle avait besoin d'une œuvre pour ce livre qui allait devenir d'une telle importance pour elle. Ce qui m'a toujours frappée, c'est la réception qu'a faite de Louis Jouvet avec qui elle travaillait à l'Athénée avant la guerre, lorsqu'elle lui a envoyé le premier poème de 'Aucun de nous ne reviendra' qui évoque Auschwitz et l'extermination des juifs, et où il lui a dit 'Charlotte, il faut que tu réécrives, il faut que tu retrouves, il faut que tu recrées'. C'est extraordinairement dénégatoire de la part de Jouvet : cela montre que, justement, il a reçu pleinement la violence de ce qu'elle voulait dire et montrer. Elle l'avait fait, justement, parce qu'elle avait réussi à utiliser des moyens poétiques et une expressivité, à créer véritablement un langage."
Écrire la douleur
Ghislaine Dunant : "ll y a plusieurs douleurs chez Charlotte Delbo. Il y a la douleur de son regard sur ce qui est fait à ses compagnes, il y a la douleur de ce qui est subi et il y a la douleur morale de ce qu'on fait à un être humain. Et toutes ces douleurs sont dans son texte et dans son texte poétique. D'ailleurs, le quatrième ouvrage, qui pour elle devait rentrer dans Auschwitz et après, qui s'appellera finalement 'La mémoire et les jours', devait s'appeler, elle l'appelle d'abord dans ses manuscrits, 'De toutes les douleurs'. Je trouve que dans la littérature du 20e siècle en France, aucun auteur n'a parlé de la douleur comme Charlotte Delbo."
Bibliographie complémentaire
Catherine Coquio, La littérature en suspens (L'Arachnéen)
Références musicales
- Truly Alone, Villagers
- Krzysztof Penderecki, Prélude pour clarinette seule
La note vocale
La question de Laurent, libraire et auteur du blog littéraire La Délivrance : "Ce qui m'a frappé dans le travail de Charlotte Delbo, c'est l'espace-temps, avec des poèmes écrits entre 1946 et 1985, c'est-à-dire juste avant la mort de Charlotte Delbo, ce qui en fait un travail d'ampleur de mémoire considérable. C'est une œuvre construite quasi intégralement sur ses souvenirs de déportation. Et malgré la distanciation et le recul dans la forme, on peut noter des vrais stigmates dans cette expérience de mort. Ma question sera la suivante : est-ce une force ou un sacrifice de construire l'œuvre de toute une vie sur ses souvenirs de déportation ?"
La réponse de Catherine Coquio : "Se détourner est impossible. Épuiser l'expérience est impossible aussi. Donc, il y a une impossibilité de faire autrement. Ce n'est pas sacrificiel."
La réponse de Ghislaine Dunant : "Ce n'est pas sacrificiel. Elle montre l'espace immense du cœur d'une femme. Parce qu'il a débordé de loin. Il est évidemment sur le camp de concentration, et elle écrit des choses qu'on ne trouve nulle part ailleurs, profondes sur le cœur, mais elle a dépassé aussi ces récits-là. Elle, elle ne s'est jamais considérée comme victime."
Le grand Jeu des pages musicales
Comme chaque jour en fin d’émission, l’heure est venue de jouer à notre grand jeu des pages musicales. Pour jouer avec nous, c’est très simple : si vous repérez, au gré d’une de vos lectures, un passage qui évoque un morceau de musique, prenez-le en photo ou relevez le texte par écrit, et envoyez-le-nous via le compte Instagram de l’émission ou sur notre mail "lebookclub@radiofrance.com".
Aujourd’hui, on doit la trouvaille à Camille via le mail du Book Club. Il s’agit d’un passage du livre de Souviens-toi de ne pas mourir sans avoir aimé de Marc Alexandre Oho Bambe (Calman-Lévy, 2023).
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