Le Conan originel, un barbare nihiliste

Arnold Schwarzenegger dans le rôle de Conan le Barbare, version John Milius (1982)
Arnold Schwarzenegger dans le rôle de Conan le Barbare, version John Milius (1982)
Le Conan originel, un barbare nihiliste
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Le Conan originel, un barbare nihiliste

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Avant d'être popularisé à l'écran dans les années 1980 avec le film de John Milius, Conan le Barbare était un personnage nihiliste dans une série de nouvelles écrites dans les années 1930.

Vous connaissez Conan le barbare, version  hollywoodienne, pleine de testostérone et de gros muscles. Mais avant de devenir cette brute épaisse, Conan, c’est un héros littéraire nihiliste, imaginé par Robert E. Howard.

Un personnage plus complexe qu’il n’y paraît, tendance anarchiste, dans une œuvre qui a bouleversé la fantasy.

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Pour Patrice Louinet, spécialiste et traducteur de Robert E. Howard, "le Conan d’Howard n’a pas grand-chose à voir avec celui qu’on connaît tous par le cinéma. C’est un personnage qui se méfie de la civilisation. Il est issu de la Cimmérie qui correspond à un pays non européen, non indo-européen dans notre géographie actuelle et c’est un individu basané. Donc on est très loin de l’image véhiculée par  Arnold Schwarzenegger."

Conan naît en 1932 sous la plume de Robert E. Howard, jeune auteur texan d’une vingtaine d’années, passionné de récits historiques et de sports de combat. Conan apparaît dans Weird Tales, une revue pulp, ces magazines en vogue à l’époque qui publient des nouvelles de SF, de policier ou d’aventures. C’est aussi dans ce magazine que  Lovecraft écrit. Les deux hommes entretiennent d’ailleurs une correspondance fournie.

Un survivant dans un monde en crise

Conan naît donc dans une décennie de crise et de dépression économique aux États-Unis. Et c’est bien de survie dont il est avant tout question dans le récit, car comme le rappelle Patrice Louinet, "Conan n’est pas un conquérant, contrairement à l’image populaire qu’on peut en avoir. C’est un survivant. C’est quelqu’un qui, dans un monde qui va mal, est capable de se débrouiller, de survivre et ne pas périr."

Conan vit des aventures à l’âge hyborien, période archaïque fictive. Il évolue dans un univers de “fantasy”, un genre littéraire plutôt européen où se mélangent le féérique et le merveilleux. Mais Howard inaugure une version plus sombre et cruelle de la fantasy.

Selon Patrice Louinet, Howard américanise le genre en se débarrassant "de tous les codes qui régissent la fantasy européenne, avec son côté médiévalisant, ses quêtes, etc., pour produire une œuvre de fantasy qui est beaucoup plus proche du milieu américain. Il n’y a donc plus de quête, plus d'obsession de la royauté dans un monde qui est beaucoup plus nihiliste, pessimiste et qui n’est pas marqué par un quelconque manichéisme. Il n'y a pas de bien, il n’a pas de mal."

Le nom du héros s’inspire de plusieurs personnages de la mythologie celte, écrits "Conan" ou "Conann". Howard s’imagine d’ailleurs avoir des origines irlandaises. Mais Conan n’est pas vraiment le héros dans l’univers que crée Howard. C’est au mieux un personnage récurrent, sans biographie. On ignore tout de son passé et de ses origines.

Howard est le premier auteur de fantasy à imaginer une histoire détaillée de son monde, avec des cartes géographiques, des dynasties, un recensement des peuples. Ce que fera  Tolkien 20 ans plus tard avec Le Seigneur des anneaux.

Conan, c’est un fantasme du retour à l’état de nature avant la civilisation, c’est un récit qui affirme la supériorité de l’individu sur toute forme d’organisation politique.

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Le mythe des Pictes

Dans la tête de Howard, Conan n’est pas un Aryen, il serait plus proche des Pictes, peuple farouche et mythifié du nord de l’Angleterre, ayant réellement existé.

"Les Pictes, rappelle Patrice Louinet, tels que les concevaient Howard et la science à cette époque, sont des êtres chétifs, furtifs, noirs de peau, qui vivent en dehors des frontières de la civilisation et qui ont une caractéristique, ce sont des ennemis farouches de Rome. Howard détestait la Rome impériale, il détestait toute forme de fascisme, de dictature et les Pictes sont devenus pour lui et je pense qu’on peut dire la même chose de Conan, le véhicule privilégié par lequel il va traduire dans ses écrits sa haine de tout système gouvernemental oppressif."

L’aventure de Conan s’arrête brutalement. Howard se suicide en 1936 à seulement 30 ans. Dans les années 1960, Lyon Sprague de Camp, un écrivain américain, reprend le personnage et l’altère complètement. Il transforme le barbare nihiliste en un conquérant en quête de trône.

Quant à la version cinématographique des années 1980, John Milius souhaite en réalité adapter à l’écran la vie de  Gengis Khan, mais il abandonne le projet et reprend le mythe de Conan, en gardant quelques éléments de la culture mongole. Ce qui explique qu'un des personnages du film s’appelle Sobutai, comme un des généraux historiques de l’empereur mongol.