Chantal Thomas : « Je pense que la matérialité est le tissu de l’écriture »

Chantal Thomas ©Getty - Ulf Andersen
Chantal Thomas ©Getty - Ulf Andersen
Chantal Thomas ©Getty - Ulf Andersen
Publicité

À l'occasion de la parution de son « Journal d'Arizona », l’écrivaine et diariste Chantal Thomas, de l'Académie française, évoque son passage à Tucson puis au Mexique dans les années 1980. Son invité dans Le Grand Atelier est l'écrivain Christophe Boltanski.

Avec

Le désert comme page blanche

Son Journal d’Arizona a été rédigé entre janvier et juin 1982. Chantal Thomas y raconte jour après jour son semestre à Tucson en tant que professeur de français ainsi qu’une escapade au Mexique. Elle confie y avoir été frappée en premier lieu par la qualité de l’air, l’immensité des paysages et la teinte violette des montagnes. Le désert lui paraît alors insaisissable : « C’est une splendeur qui est devant nous, qui nous laisse entrer ou traverser mais qui ne se possède pas, qui ne s’approprie pas ». Éloignée de son pays d’origine et de son amoureux new-yorkais, elle trouve dans ce désert un certain « sentiment de table rase ». En d’autres termes, « l’impression qu’on n’est pas dans le feuilletage des habitudes passées mais devant une page blanche ». Un nouveau départ pour l’écrivaine, qui réalise quarante ans plus tard à quel point ce séjour l’a changée.

Publicité

L’inspiration et ses vis-à-vis

C’est en allant voir Seule la terre est éternelle au cinéma après la crise sanitaire de 2020, un film de François Busnel sur Jim Harrison, que Chantal Thomas décide de publier ce journal. La façon dont Harrison est habité par certains paysages, notamment ceux de la frontière Arizona-Mexique, la renvoie à sa propre expérience de jeunesse. À la différence qu’elle puise son inspiration dans la contemplation, la « stupeur de la nouveauté, des arbres, de la lumière, du ciel » tandis qu’Harrison explique écrire « face à un mur blanc vide » sur lequel son esprit projette des images. Christophe Boltanski relate quant à lui les mots d’une amie selon lesquels « il faut mettre au moins cent kilomètres entre soi et le monde agité et bruyant pour commencer à écrire ».

La forme du journal intime

Qu’il s’agisse d’essais sur le travail d’hommes de lettres (Sade, Casanova, Roland Barthes) ou de fictions mettant en scène des personnalités historiques (Marie Antoinette, Louis XV), les écrits de Chantal Thomas sont souvent marqués d’une approche biographique. Familière de la forme du journal (après notamment Journal de nage en 2022), l’écrivaine apprécie particulièrement l’immédiateté qu’elle laisse transparaître : « C’est le vif de l’instinct qui trouve à s’écrire. C’est le principe du haïku, du trait qu'on ne peut pas éviter. C’est presque avant le choix, avant la mise en scène de notre existence ». Une écriture de l’instant et de l’intime dont elle ne censure aucun extrait lors de la publication, jusqu’au récit de ses rêves érotiques. Elle s’explique : « Un journal, comme un compte rendu, comme un reportage et comme un roman est fait d’un tissage où chaque élément est nécessaire ». Christophe Boltanski, qui partage son goût pour les récits de voyages, se réclame aussi de ce type d’écriture et de la prise de recul qu’elle permet. « J’aime beaucoup avoir un carnet à la main, j'ai un plaisir presque charnel à toucher un carnet et à l’ouvrir. J’ai une mauvaise mémoire donc j’ai besoin de noter les choses si je veux pouvoir les garder. L'intérêt de consigner les choses c’est que ça vous oblige à vous retirer un peu de la situation, essayer de la mettre en mots et de faire un pas de côté ».

La vibratilité : prêter attention aux détails

Le récit de Chantal Thomas fait état de sensations, d’objets, de couleurs. Des détails indispensables selon elle, tant dans le travail de reconstitution propre aux romans historiques que dans celui de romancier. On retrouve ces éléments en apparence insignifiants dans King Kasaï, livre de Christophe Boltanski paru en 2023, notamment dans le lit de camp que l’auteur place face à la pièce iconique du musée décrit dans le livre, le « King Kasaï » de l’Africa Museum. Chantal Thomas l’explique ainsi : « Je pense que la matérialité c’est le tissu de l’écriture. C’est pour ça qu’un roman historique c’est hallucinatoire. Il faut qu’à travers les vêtements, les lieux on les connaisse presque au toucher, on les respire ».

Chroniques des passants

Avant de devenir écrivain, Christophe Boltanski était avant tout journaliste et reporter de guerre. Alors qu’il navigue aujourd’hui entre les deux professions, il explique qu’il a tout simplement « besoin de ces deux jambes pour avancer ». Mais il précise qu’il y a pour lui une grande différence entre un journaliste et un romancier : « Un journaliste, on attend de lui qu’il apporte des réponses alors qu’un romancier est souvent là pour poser des questions qui demeurent sans réponse ». Son dernier ouvrage, La fermière tuée par sa vache et autres faits divers, établit une passerelle entre ses deux activités. Pour lui, le fait divers « vous permet de rentrer dans des mondes où vous n’auriez pas accès autrement, c’est à chaque fois des petites lucarnes ». Chantal Thomas a, elle aussi, rédigé une chronique par mois pour le journal Sud Ouest entre 2014 à 2018 (et dont elle a tiré le livre Café Vivre - Chroniques en passant en 2020). Elle décrit le sens de l’observation que sollicite l’écriture de faits divers : « Ça nous rend plus attentifs. On est comme survoltés à l’écoute, on entend des fragments de phrases, les gens ont beaucoup plus de relief. C’est un certain état d'hyperprésence au monde. Et on comprend à quel point à partir d’un fait divers objectif le monde est romanesque ».

La suite à écouter…

Programmation musicale

  • Lhasa de Sela - « El desierto »
  • Flavien Berger - « Sapon »
  • J. Bernardt - « Taxi »

Actualités culturelles

  • Le Journal d'Arizona et du Mexique de Chantal Thomas est paru aux Editions Seuil.
  • La fermière tuée par sa vache et autres faits divers de Christophe Boltanski est paru aux Editions Zadig-Autrement.
  • Le documentaire de David Teboul Les Filles de Birkenau sera diffusé ce soir sur France 5. Il est disponible jusqu'au 29 décembre sur France.tv.
  • La 38e édition du festival le Printemps des Comédiens aura lieu du 30 mai au 21 juin à Montpellier.

L'équipe

pixel