Iris Brey et Juliet Drouar : existe-t-il une "culture" de l'inceste ?

Existe-il une culture de l'inceste ? ©Getty - Ana Paula Avila / 500px
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Existe-il une culture de l'inceste ? ©Getty - Ana Paula Avila / 500px
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En France, une personne sur dix déclare avoir été victime d'inceste. Un constat glaçant qui a poussé des universitaires et militantes à écrire sur le sujet. "La culture de l'inceste", essai collectif dirigé par Iris Brey et Juliet Drouar, parait cette semaine au Seuil. Ils sont nos invités.

Avec
  • Iris Brey Spécialiste de la représentation du genre au cinéma et dans les séries

Les statistiques sont effarantes, les témoignages affluent de toutes parts, l’inceste gangrène tant et tant de familles. Peut-on encore parler de déviance, d’exception pathologique, de monstre à la marge ?

À réécouter : Faire face à l'inceste
Grand bien vous fasse !
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Au lieu de pointer des individus, ne serait-ce par le cœur même de notre organisation sociale qu’il faut remettre en question puisque l’inceste s'avère massif, puisque l’inceste se perpétue ? Nous partîmes 1000, bien décidés, nous arrivâmes une poignée, harassés. Ecrire sur l’inceste est en soi un combat. Même lorsqu’il s’agit de réflexions théoriques, même lorsqu’il s’agit d’un livre politique.

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Extraits de l'entretien

14 thérapeutes, universitaires et militantes ont écrit ce livre… Fallait-il que ce soit un ouvrage écrit à plusieurs pour donner une réponse collective à un phénomène beaucoup trop répandu ? L’idée de ce livre est venue à Iris Brey : « En lisant un article de Juliet Drouar sur Médiapart qui évoquait la culture de l’inceste, un terme intéressant à questionner et à déplier. Mais je n’avais pas envie de l'étudier, seule. Le livre Le Consentement de Camille Kouchner n’était pas encore sorti, et peu de personnes voulaient parler. Et puis, il fallait être plusieurs pour porter un ouvrage difficile.

La pensée collective ne pouvait être que bénéfique pour répondre à cette question : que fait-on maintenant qu’on connaît ces chiffres ? Une personne sur dix est victime de l’inceste. Il faut tous et toutes s’atteler à réfléchir à que fait-on pour sortir de cette domination patriarcale ? »

7 millions de victimes en France : il y a-t-il une culture de l’inceste ?

Juliet Drouar explique pourquoi il a parlé de culture de l’inceste : « Ce terme visait à dire que l’on ne parlait pas d’une exception, d’une pathologie rare, ou d’une monstruosité exceptionnelle. Dire que c’est culturel revient à dire que c'est systématique. Un enfant sur dix est victime de violences sexuelles, et à 80% dans le cadre familial : cela existe dans presque toutes les familles, car rares sont les cellules familiales de moins de dix membres ? S’il y a une victime, il y a un, ou une, agresseur.e par famille. Il y a également des témoins… Cela a des conséquences dans toutes les familles. »

Un phénomène de domination : les hommes vont vers le corps le plus faible

Iris Brey décortique la perversité du mécanisme incestueux : « Quand on parlait de la culture du viol, on disait que les violeurs ne sont pas des hommes dans la rue qui agressent les femmes. Cela arrive, mais la majorité des violeurs sont des personnes connues des victimes. Les hommes incestueux ne sont pas forcément ceux qui regardent des contenus pédophiles sur Internet. Mais nos pères, nos frères, nos cousins, ou nos voisins…

La culture de l’inceste est dans la continuité de toutes ces violences faites aux femmes : c’est un système mis en place pour que le corps des enfants, comme celui des femmes, continue à être dominé par le patriarcat et par les hommes.

J'ai grandi avec l'idée que l'inceste venait de quelques hommes pédophiles attirés par le corps des petits garçons ou des petites filles. Mais non ! Les hommes vont vers le corps qui est le plus faible. C’est terrible. »

Les mineurs, des personnes privées de droit sont en situation de faiblesse

Juliet Drouar fait un parallèle entre la situation des enfants et des femmes : « Souvent, on justifie le fait que les enfants soient privés de droits par la nécessité de les protéger. Comme pour les femmes : il fallait les protéger donc, elles ne pouvaient pas exercer un certain nombre de droits.

Sauf que cette condition de dépendance matérielle, cette absence de possibilité de choisir le lieu où on vit, y compris quand il y a des abus où les enfants restent sous l'autorité parentale, l’absence de droit de vote. On a complètement naturalisé cette situation. Or, quelles sont les meilleures conditions pour pouvoir disposer des corps de l'autre que celle où il est en dépendance affective, émotionnelle, matérielle absolue ? »

La suite, Lolita de Nabokov, la figure de la mère érotisée est à écouter...

La Culture de l'inceste, un livre collectif sous la direction d'Iris Brey et Juliet Drouar est paru aux éditions du Seuil

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