"Le Malade Imaginaire" de Molière

"Le malade imaginaire" par la Comédie française au Théâtre national de Pékin, le 26 octobre 2011 ©AFP - PETER PARKS
"Le malade imaginaire" par la Comédie française au Théâtre national de Pékin, le 26 octobre 2011 ©AFP - PETER PARKS
"Le malade imaginaire" par la Comédie française au Théâtre national de Pékin, le 26 octobre 2011 ©AFP - PETER PARKS
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Argan, mari tyrannisé, père abusif, se livre aveuglément aux médecins qui l’entretiennent dans un état maladif, entre fantasmes et névrose. Rendu à l’état végétatif, il ne voit d’espoir, pour sauvegarder sa santé, qu’en l’union de sa fille Angélique avec un homme de médecine.

Argan, mari tyrannisé, père abusif, se livre aveuglément aux médecins qui l’entretiennent dans un état maladif, entre fantasmes et névrose. Rendu à l’état végétatif, il ne voit d’espoir, pour sauvegarder sa santé, qu’en l’union de sa fille Angélique avec un homme de médecine. Son choix s’est porté sur Thomas Diafoirus, neveu dégénéré d’un charlatan. Angélique, éprise de Cléante qui lui fait la cour travesti en maître de musique, refuse cette union que sa marâtre Béline encourage avec hypocrisie. Bousculé par Toinette, sa servante, ébranlé par une dispute avec son apothicaire dont il refuse un lavement, sermonné par son frère Béralde, Argan accepte de feindre le mort pour éprouver l’affection des siens. La fidélité de sa fille et la duplicité criminelle de sa femme éclatent enfin à ses yeux. Chassant de chez lui les faussaires de l’amour comme ceux de la science, il entreprend de se faire médecin lui-même pour mieux se soigner.

Œuvre au programme du baccalauréat de français 2024.

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Quand Molière écrit Le Malade imaginaire, il se sait gravement malade. Sa dernière pièce est une comédie, mais chaque acte se termine par une évocation de la mort. On ne peut s’empêcher de voir derrière le personnage d’Argan l’auteur mourant, qui joue avec la souffrance et la mort. Le même thème, tragique dans la vie, devient comique sur la scène, et c’est avec son propre malheur que l’auteur choisit de nous faire rire. Dans un siècle où les écrivains ne parlent pas d’eux-mêmes, Molière nous fait une confidence personnelle : il est si affaibli, nous dit Béralde, "qu’il n’a justement de la force que pour porter son mal". Le vrai malade joue au faux malade. Toute la pièce tourne autour de l’opposition du vrai et du faux : vrai ou faux maître de musique, vrai ou faux médecin, vraie ou fausse maladie, vraie ou fausse mort. Cette dialectique culmine au dernier acte quand, dans une parodie de diagnostic (où le poumon est la cause de tous les maux d’Argan), Molière fait dire à Toinette, déguisée en médecin, la vérité de son mal : à la quatrième représentation, Molière crache du sang et meurt quelques heures plus tard – du poumon, justement. C’est l’imposture au second degré, l’imposture (de Toinette) pour dénoncer l’imposture (des médecins), qui finalement dit la vérité. C’est du mensonge que surgit la vérité. C’est le mensonge d’Argan (quand il joue au mort) qui révèle la trahison de Béline. C’est en "changeant de batterie", en feignant d’entrer dans les sentiments d’Argan et de Béline, que Toinette aidera Angélique. C’est comme faux maître de musique que Cléante peut s’introduire dans la maison. C’est qu’il faut être hypocrite pour dénoncer les impostures et les mensonges. Mais, plus profondément encore, Molière joue avec la maladie et la mort pour tenter peut-être de les conjurer.

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58 min

Tout est objet de parodie dans cette pièce. Les choses les plus graves y sont tournées en dérision. C’est son côté carnavalesque. À la fin du troisième acte, pour justifier l’ultime parodie, celle de l’intronisation d’Argan en médecin, Béralde nous avertit que "le Carnaval autorise cela". En organisant ce dernier divertissement, véritable fête des fous, Béralde fait littéralement entrer le Carnaval dans cette maison bourgeoise. La pièce a été créée en février 1673, pendant le Carnaval justement. Le Malade imaginaire a suscité les interprétations les plus contradictoires : on a joué Argan malade, on l’a joué resplendissant de santé ; on l’a joué tyrannique, on l’a joué victime ; on l’a joué comique, on l’a joué dramatique. C’est que tout cela y est, non pas simultanément mais successivement. Molière propose une formidable partition, toute en ruptures, toute en contradictions où le comique et le tragique sont étroitement imbriqués l’un dans l’autre, où ils sont l’envers l’un de l’autre. Derrière la grande comédie qui a intégré certains schémas de la farce, on découvre l’inquiétude, l’égoïsme, la méchanceté, la cruauté. Comédie paradoxale ? Dans cette pièce rien n’est tout à fait dans l’ordre des choses. L’unité de temps, par exemple, y est respectée et pourtant discrètement subvertie : le premier acte commence en fin d’après-midi et se termine à la nuit tombante, les deux actes suivants se déroulant le matin et l’après-midi du lendemain. La dernière pièce de Molière commence donc dans les teintes d’une journée finissante. C’est une comédie crépusculaire, teintée d’amertume et de mélancolie.

Mis en scène par Claude Stratz
Réalisation de Christine Bernard-Sugy
Avec la Comédie Française
Avec : Alain Pralon (Argan), Catherine Hiegel (Toinette), Catherine Sauval (Béline), Bruno Raffaelli (M. Diafoirus), Christian Blanc (M. Purgon), Alain Lenglet (Béralde), Alexandre Pavloff (Thomas Diafoirus), Jérôme Pouly (M. Bonnefoy), Christian Gonon (M. Fleurant), Julie Sicard (Angélique), Loïc Corbery (Cléante), Alma de Montplaisir (Louison)

Musique et chant : Mathilde Etienne, Cornélia Schmid, Philippe Degaëtz, Vincent Lièvre-Picard, Emmanuelle Guigues, Jorris Sauquet
Musique originale : Marc-Olivier Dupin Bruitages Bertrand Amiel
Équipe de réalisation : Olivier Dupré, Manuel Couturier, Aurélien Prieto

Cette fiction appartient à la sélection " Les chefs-d'œuvre inoubliables ".

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