La série de Netflix, qui fait mine de subvertir le roman à l'eau de rose, et un excellent lieu pour tester la manière dont nos représentations quant à la chose amoureuse ont évolué... ou pas.
Ce matin, je partage un plaisir coupable, et je pense que nous sommes plusieurs à le partager - alors qu’il se pratique en solitaire j'imagine, chacun devant son petit ordinateur. J’ai nommé : Les Chroniques de Bridgerton, une série américaine diffusée depuis quelques années sur Netflix, dont le rouge du logo reflète au visionnage celui de ma propre honte, à moins que ce ne soit l’inverse.
Pour les bienheureux qui ne connaissent pas ou qui n’ont que mépris pour la chose, je raconte : les Bridgerton sont une famille qui vit à l’orée du 19e siècle dans une ville fantasmée de l’Angleterre, une famille de nobles, comme la plupart des autres autour d’elles, et dont l’activité principale est matrimoniale : les mères cherchent des prétendants et des prétendantes pour leur progéniture, les pères vont à la chasse, se ruinent ou font des affaires, les fils vont au club mais cherchent aussi la mère de leurs futurs enfants, les filles font du piano, tripotent des étoffes chez le modiste, lisent parfois un bouquin en soupirant à la fenêtre. Et tout ce petit monde se retrouve et ragote dans des évènements qui ponctuent inlassablement ce qu’on appelle la saison: des garden partys, des jeux de croquet, et surtout, bien-sûr, des bals. Le tout dans une esthétique de bonbonnière, couleurs et fleurs partout jusqu’à en crever.
Dit comme ça, quoi de neuf me direz-vous, et bien c’est toute la question. Les Chroniques de Bridgerton remuent chez le spectateur, et probablement surtout la spectatrice, une matière tout à fait sérieuse et compliquée : dans un temps où nous sommes, de plus en plus collectivement concernés et éclairés sur les questions de genre et de sexualité, et sur la manière dont on les représente, comment désirer regarder cela?
Il faut dire qu’on est malins chez les Bridgerton, on biaise. La série créée par Shonda Rhimes, papesse de la pop culture bon ton, multiplie les garde fous pour se démarquer du feuilleton sous-austenien, mettant en scène sans souci de vraisemblance historique des personnages noirs dans toutes les strates sociales, jusqu’à la Couronne, en campant des jeunes filles apparemment libres, qui n’ont que faire du mariage et qui sont désirantes, et en montrant du sexe, dans des limites quand même raisonnables.
Ne nous mentons pas
Chaque saison contient dans son récit-même des petits trucs et astuces qui déniaisent le roman à l’eau de rose - dans la dernière, dont la première moitié vient d’être mise en ligne, on découvre une nouvelle jeune Bridgerton dont c’est le tour d’être le meilleur parti de la saison, Francesca. Elle est jolie comme un coeur, mais elle ce qui l’intéresse uniquement c’est le silence et jouer au piano, c’est un geek dans une enveloppe victorienne. Elle tombe donc sous le charme d’un jeune homme qui, comme elle, n’aime rien tant que le silence, et avec lequel elle passe les meilleurs moments de sa vie immobile et mutique sur un canapé. La série a donc carrément intégré un personnage qui n’en peut plus de la fiction bavassante et criarde qui l’a engendrée.
Pour autant ne soyons pas dupes, soyons honnêtes avec nous même: ce qui nous intéresse dans les chroniques de Bridgerton, ce n’est pas ce que la série invente de pseudo détournements de la forme romantique, ça c’est au mieux le petit chausse pied qui nous glisse sans méfiance dans l’éternelle pantoufle de vair - et nous somme à nouveau, devant les turpitudes morales et vaguement érotiques de Colin et Penelope, comme nous étions devant Cendrillon : avides de robes moirées et de princes fougueux. Dans le fond cette série est un excellent mètre étalon, qui permet de mesurer la persistance de nos archaïques réflexes de midinettes.
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