"Le Roi et l'Oiseau", un petit miracle de l'animation qui a failli ne jamais voir le jour

C’est l’histoire d’un oiseau fantasque et d’un roi orgueilleux qui s’affrontent… Chef-d'œuvre de l’animation française, Le Roi et l’Oiseau a influencé les plus grands réalisateurs et a été conçu aux antipodes des films  Disney, dans sa poésie, son refus de tout manichéisme et son cri de révolte.

Pourtant, sa production a duré 35 ans et a été un véritable parcours du combattant, fait de trahisons et de rebondissements.

Paul Grimault raconte en 1973 qu'il s'agit d'un dessin animé "qui coûtait très cher quand" et que s’il avait fallu le faire avec des vrais acteurs, des décors, "ça aurait été le film le plus cher qu’on n’ait jamais envisagé."

Nous sommes en 1945, au lendemain de la guerre, deux amis ont pour ambition de réaliser le premier long-métrage d’animation français. Aux commandes du projet, le poète surréaliste  Jacques Prévert et Paul Grimault, génie du dessin animé, qui a fondé son propre studio, Les Gémeaux, avant la guerre.

Un conte d'Andersen

Grimault et Prévert veulent adapter un conte d’Andersen. Ils pensent d’abord à La Reine des neiges, mais choisissent finalement La Bergère et le ramoneur, une histoire d’amour impossible entre deux jeunes figurines de porcelaines qui prennent vie et décident de s’enfuir.

Le style Grimault, c’est une animation précise, lente, toute en finesse, pas trop dans le style cartoon. Il est influencé par les gravures médiévales, Dürer notamment. Quant au truculent oiseau, il est inspiré du baron Mollet, figure littéraire excentrique et ami d’Apollinaire, mais aussi du comédien Pierre Brasseur pour sa gestuelle.

Les Gémeaux emploient une vingtaine de personnes qui ont déjà travaillé sur des courts-métrages. Mais là, le projet est beaucoup trop ambitieux pour l’équipe : 24 dessins par seconde pour un film d’1 h 30, soit à peu près 130 000 dessins à réaliser. Les retards s’accumulent et les difficultés financières s’annoncent.

Carole Aurouet, enseignante en études cinématographiques et audiovisuelles, décrit le contexte particulier de production : "c’est un studio artisanal, Grimault a suivi une école de dessin. Il a fait des dessins dans des ateliers de décoration, dans des ateliers de meubles, pour de la publicité. Prévert est autodidacte. Ils ont envie de parler de choses qui les touchent, de mettre sur le devant de la scène des “petites gens”, les choses du quotidien et de proposer ce qui va devenir une fable sociale, politique, loin des niaiseries qu’on peut trouver à l’époque dans le cinéma d’animation".

Pour sauver le projet de la faillite, le producteur André Sarrut se rend aux États-Unis et rencontre des cadres de Disney. Il revient avec de nouvelles idées. Il demande à Grimault et Prévert de rajouter quelques séquences comiques, de pratiquer quelques coupures ici et là, pour que le film soit plus grand public.

Mais Grimault et Prévert sentent que leur œuvre est en train de leur échapper. Ils sont finalement écartés de la production. “La bergère et le ramoneur” est terminé sans leur accord et sort dans les salles en 1953.

Une vente aux enchères

Grimault et Prévert entament alors un long combat judiciaire et sont finalement reconnus comme les co-auteurs du film en 1959. En 1966, Paul Grimault profite d’une vente aux enchères pour racheter les éléments du film. Prévert et Grimault relancent le projet, avec un scénario un peu différent.

Il se concentre désormais sur la rivalité entre l’oiseau et le cruel despote Charles V et Trois font Huit et Huit font Seize. Le nouveau film s’inspire aussi bien des poèmes de Prévert, comme L’Inventaire, que des classiques du cinéma que les deux auteurs ont vus plus jeunes.

Mais Prévert meurt en 1977 de maladie et ne verra jamais le film achevé, qui sort trois en plus tard. Parmi les spectateurs bouleversés par cette œuvre,  Miyazaki et Takahata, les futurs créateurs du studio Ghibli.

Carole Aurouet rappelle "qu'il y a beaucoup de clins d'œil dans les films de Miyazaki au “Roi et l’Oiseau”. Il y a la construction des châteaux, que ce soit dans “Le Château de Cagliostro”, que ce soit le “Château dans le ciel”. Et puis, bien sûr, il y a aussi des similitudes thématiques, l’attention qu’on va accorder à la nature, le respect du règne animal, le respect du règne végétal, les enfants qui s’aiment".