Les pistes cyclables et la révolution

Une cycliste sur une piste cyclable. ©Getty - Hakan Jansson
Une cycliste sur une piste cyclable. ©Getty - Hakan Jansson
Une cycliste sur une piste cyclable. ©Getty - Hakan Jansson
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Les deux seuls sujets qui m’importent — les pistes cyclables et la révolution — ont presque fusionné, et c’est très inquiétant.

Je pratique assidûment le vélo, non pas seulement comme un moyen de déplacement ou comme un sport, mais comme on ferait tourner les roues d’une machine de Babbage vouée à l’apprentissage profond, comme on lui ferait chercher un théorème d’optimisation pour concilier deux exigences contradictoires, la sauvegarde de ma vie et la protection de mes jantes, des jantes si onéreuses, et à la merci du moindre bec de trottoir un peu trop aiguisé, qu’elles m’obligent souvent, quand j’arrive épuisé dans une ville inconnue, à renoncer à emprunter les pistes cyclables, équipements urbains plébiscités mais rarement satisfaisants, surtout si on dépasse les 30 km/h, qu’on doit serpenter entre les feux rouges et les racines d’arbres, déchiffrer leurs tracés complexes et éviter leurs brusques changements de niveau fatals à mes roues Mavic à 200 euros pièce — et c’est à peine le milieu de gamme.

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J’ai encore raté, l’autre jour, mon arrivée à Chartres par la route de l’aérodrome, ne réussissant pas à négocier à temps mon insertion sur une piste cyclable péniblement séparée du reste de la chaussée — la chose paraît incroyable — par une haie de buissons épineux.

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Arrive toujours aussi ce moment absurde où le cycliste se fait insulter par un automobiliste, qui non seulement supporte l’essentiel du coût de la construction des pistes cyclables, en perdant au passage l’équivalent d’une voie, mais se retrouve aussi in fine à devoir éviter un arrogant cycliste parisien qui ne les juge pas dignes de ses roues valant à elles deux le tiers d’un SMIC.

Les choses étaient résolument mal engagées, sur les routes hivernales du pays des gilets jaunes

Mais des solutions existent, et je les ai découvertes en déroulant sur Twitter l’excellent thread d’un certain Rivo Vasta, qui se livrait, sur les récents réaménagements de la place de la Bastille, et plus précisément sur l’interface cycliste entre la nouvelle place et le faubourg Saint-Antoine, à une passionnante étude de cas.

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Photos des contours chanfreinés de la bande cyclable ou schémas d'intervention des pompiers, à l’appui, le jeune urbaniste parvenait à rendre le paysage tumultueux du faubourg à nouveau intelligible, à nous convaincre que rouler ici était aussi doux que de faire coulisser du doigt les tweets enchâssés de son thread, et l’espace d’un instant, j'envisageais de m’installer pendant dix ans à Reims, Epernay ou Châlons-en-Champagne, juste pour avoir un jour le plaisir d’entrer à vélo dans Paris par cette piste cyclable révolutionnaire.

Révolutionnaire, c’est bien le nom qui convient pour un équipement urbain destiné à modifier l’approche de l’un des principaux points chauds de la carte de France

On a beau vendre ici des meubles et des chaussures, j’ai beau m’y rendre à l’occasion pour y enregistrer des chroniques télé, en saluant au passage ma sœur qui travaille au Etam, cet endroit de France n’a jamais été complètement rétrocédé, depuis 1789, à la paix civile, et mon twittos lui-même, malgré toute son évidente bonne volonté, ne manquait pas de mentionner en passant “qu’avec 16m80 en sortie de place”, le point d'interconnexion entre le faubourg et la place demeurait critique.

Montrer qu’avec un peu d’intelligence et beaucoup de bon sens, on pouvait faire passer un peuple entier dans l’intervalle, c’était précisément, je crois, l’objet de son thread.

Ni la tyrannie automobile ni l’anarchie cycliste n’auraient ici le dernier mot : si la démocratie fonctionnait encore en Europe, c’était précisément ici.

Et j’aurais été tenté de le suivre si je ne m’étais pas heurté, dès le lendemain, à un dysfonctionnement majeur de cette belle utopie cyclable.

Le second point chaud de l’histoire de France — on le sait depuis la mort de Louis XVI, le 6 février 1934 ou le mouvement des Gilets Jaunes — c’est l’interconnexion entre la rue de Rivoli et la Concorde : si la foule passe, ici, dans certaines conditions, alors la tête du roi, le gouvernement ou la République tombent.

L’endroit — au débouché de l'aménagement cycliste le plus marquant des années Hidalgo, la piste cyclable à double sens de la rue de Rivoli — fait l’objet de travaux. Depuis quelques jours, on finit de coudre cette voie express cycliste à la place de la Concorde : encore un jour ou deux de terre-pleins à escalader et le Paris cyclable aurait été achevé.

Mais on a assisté à la place à l’installation d’imposantes grilles anti-émeutes qui sont venues soudain rappeler à l’usager distrait que le paradis des cyclistes n’était pas exactement le même que celui des travailleurs.

par Aurélien Bellanger

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