Ma vie de parents de Gwenaëlle Boulet du mercredi 29 mai 2024

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Alors Gwénaëlle, comme, en plus d’être une chroniqueuse de talent, vous êtes une journaliste sérieuse, vous avez choisi, sur ce thème de l’adolescence, de procéder à une véritable étude comparée…

Eh oui Ali ! Comme j’ai une ado de 15 ans (quel bel âge !) à domicile, je me suis dit que, compte tenu du thème du jour, ça pouvait être l’occasion d’engager un chouette dialogue mère-fille. Après tout, s’interroger sur nos adolescences respectives pouvait être une piste qui nous emmènerait peut-être, qui sait, sur un peu de partage, de complicité, de compréhension mutuelle. La bonne idée, quoi ! Dimanche, mon bouquet de fête des mères reçu (joie, joie, joie), je me suis donc aventurée dans la grotte de ma vie, le smartphone à la main pour engager une petite conversation… « Chérie, j’ai une chronique à faire.. en gros pour savoir si les adolescents d’aujourd’hui sont plus fragiles qu’avant.. t’en penses quoi toi ?

ben j’en sais rien moi, y’a des trucs bien et y’a des trucs pas bien.. (116)

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OK… mais tu peux développer un peu ? T’as pas des exemples ?

C’est bon, c’est pas moi qui fait ma chronique non plus hein… (109)

Nan mais je sais pas, essaye d’imaginer… tu penses que c’est mieux d’être ado aujourd’hui ou avant ?

comment tu veux que je sache moi ? j’étais pas à ton époque ! (108)

Voilà donc ouvertement, ma fille n’avait pas du tout envie de m’aider dans mon projet d’enquête comparée. Il faut dire, à sa décharge que je n’avais pas choisi le bon moment pour la mettre à contribution… vu qu’elle sortait

d’une nuit blanche avec ses copines… et qu’elle devait écrire pour le lendemain un poème « à la façon d’Alfred de Musset ». « Trop éclaté » le truc (fin de citation)…

Vous avez donc dû vous débrouiller toute seule…

Voilà. Du coup, je me suis dit que ça pouvait être une bonne idée de me replonger dans mon journal intime d’ado, que j’ai ressorti d’une vieille caisse, histoire de revoir un peu qui j’étais… persuadée d’y retrouver la trace d’une jeune fille à la fois drôle et spirituelle, inspirée, ayant peut-être même déjà un certain talent d’écriture. Mais QUE NENNI ! Ne faites jamais ça ! Surtout, restez avec vos illusions ! Car si vous êtes comme moi, 1 / vous allez peut-être vous apercevoir que vous étiez moins bon.ne à l’école que vous ne le dites à vos enfants et 2 / vous allez surement, pour quelques lignes truculentes, devoir vous avaler des pages de banalités à base de « Aujourd’hui, bof. Allemand (le prof est trop con), latin franchement ça sert vraiment à rien…) Sinon, je suis toujours amoureuse de Trucmuche mais en même temps Bidul est vraiment trop beau… Que faire ? En même temps, je suis sure qu’eux aussi bavent devant cette pouf de Séverine… tout ça parce qu’elle couche… heureusement que je passe la soirée chez Chloé et qu’on part en week-end avec les scouts parce que sinon, j’en ai trop marre… Allez, je te laisse, bisous…

Comme le disait Arthur Rimbaud, « je est un autre »

Oui, et il est vertigineux de voir à quel point cette jeune fille que j’ai été est à la fois moi… et une parfaite étrangère. Même si certaines lignes m’ont furieusement rappelé une

autre ado de 15 ans que j’ai sous les yeux en ce moment. Les amis omniprésents que l’on souhaite éternels, les amours tâtonnantes qui envahissent le coeur, les parents qui agacent, les notes qui stressent, les découvertes qui remuent, les repères qui éclatent… Pour tout ça, j’ai l’impression que rien n’a beaucoup changé. En revanche, ce qui m’a sauté aux yeux, c’est à quel point toute cette construction avait l’air de se faire dans le secret de la chambre, isolé, avec du temps pour malaxer cette matière… là où aujourd’hui, nos ados se construisent en permanence sous le regard des autres, via les photos en continue et les réseaux sociaux. Un « je » offert aux autres, que l’on espère pour le meilleur.

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