“Madame Butterfly”, l'opéra japonisant de Puccini

Puccini s'inspire du Japon pour créer Madame Butterfly en 1904.
Puccini s'inspire du Japon pour créer Madame Butterfly en 1904.
Madame Butterfly, le Japon à l'opéra - Culture Prime
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“Madame Butterfly”, l'opéra japonisant de Puccini

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Madame Butterfly est aujourd’hui dans le top 10 des opéras les plus joués au monde. Pourtant sa première, il y a 120 ans, fut une véritable catastrophe.

ll était une fois une jeune Japonaise séduite et abandonnée par un marin américain. Madame Butterfly ne se raconte plus, tellement cet opéra a fait le tour de la planète depuis sa création le 17 février 1904. Et pourtant, après une première désastreuse, l’œuvre aurait pu ne jamais être représentée.

Nous sommes au début du XXe siècle et Giacomo Puccini est une star de l’opéra. Il a déjà connu de formidables succès avec La Bohème (1896) et Tosca (1900). « Il est considéré comme l'héritier de Giuseppe Verdi, explique Norberto Cordisco-Respighi, musicologue. Il vivait très confortablement grâce aux droits d'auteur : il s'était fait construire une villa à Torre del Lago, son petit village de prédilection ».

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Puccini cherche le sujet de son prochain opéra et alors qu’il séjourne à Londres pour superviser l’adaptation de Tosca, il se rend au théâtre. La pièce qu’il y découvre est écrite par un auteur américain, David Belasco, et tirée d'un roman de John Luter Long. On y parle d’une jeune geisha trahie par un marin américain : c’est Madam Butterfly. Puccini ne parle pas un mot d’anglais, mais il devine le potentiel de cette tragédie.

La mode des kimonos et des estampes

D’autant qu’elle s’inscrit parfaitement dans la mode japonisante qui déferle en Europe depuis plusieurs années. Après près de deux siècles d'isolement, le Japon est contraint d’ouvrir ses ports à l’étranger dans les années 1850. Avec l’ère Meiji (1868-1912), les échanges entre l’archipel et l’Europe s’intensifient : les estampes japonaises sont prisées par les collectionneurs, les noms d’Hokusai et Hiroshige se font connaître. Artisans et artistes, comme Claude Monet, s’inspirent du style japonais. Et l’engouement ne fait que croitre après les Expositions universelles à Paris de 1867 et 1878, où le Japon devient un phénomène populaire.

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Puccini négocie alors les droits de la pièce, non sans difficultés, et après un an de tractations, il en commence l’adaptation musicale. Il se renseigne énormément, il échange avec la femme de l’ambassadeur japonais, il se familiarise avec le répertoire traditionnel... Son souhait : que Madame Butterfly évoque musicalement le Japon. « Puccini essaye d'insérer dans l'opéra des mélodies orientales, en particulier des mélodies japonaises. Il y en aura une dizaine dans l'opéra », explique Norberto Cordisco Respighi. Au premier acte, par exemple, il insère l’hymne japonais. « Il fait aussi attention à l'orchestration, qui est transparente, avec une attention particulière donnée aux bois et aux cloches. L'aria "Un bel dì, vedremo" est basé sur une gamme japonaise, la gamme de Ryo, une gamme pentatonique [composée de cinq notes] » .

Il mélange ces sonorités japonaises à des thèmes occidentaux. Après l’hymne japonais, il insère l’hymne de la marine américaine, qui deviendra par la suite l’hymne officiel américain. « Avec cet opéra, Puccini veut montrer les conflits qu'il peut y avoir entre le monde occidental, les progrès industriels, la décadence morale, et le monde japonais, très féodal, ancré dans la tradition, avec ses rites et ses rigidités ».

Le rôle de Madame Butterfly

Et bien sûr Puccini crée un personnage féminin mémorable : Cio Cio San, ou Madame Butterfly. « La particularité du personnage de Madame Butterfly, c'est qu’elle jongle entre deux mondes. Parfois elle chante sur des tonalités occidentales, et parfois elle chante sur des tonalités japonaises. Puccini veut ainsi démontrer les conflits en elle-même », analyse le musicologue.

L’opéra repose d’ailleurs sur la performance de la soprano, qui est quasiment toujours sur scène. Les interprètes s’accordent pour souligner la difficulté d’interprétation du personnage, qui demande une voix, une technique et une présence théâtrale certaines.

Les répétitions de Madame Butterfly commencent le 7 janvier 1904. Tout est fait pour que l’opéra soit un succès : d’excellents chanteurs et chanteuses, comme Rosina Torchio, des décors à la japonaise... La première affiche complet.

Des cris et des sifflets dans la salle

Mais le soir du 17 février 1904, à la Scala de Milan, la représentation tourne à la catastrophe... « Des spectateurs criaient, certains chantaient La Bohème, d’autres l'accusaient d'avoir copié ses précédents opéras, énumère Norberto Cordisco-Respighi. Ça a été un tel fiasco que l'éditeur de Puccini a décidé de retirer l'opéra de l'affiche ». Les raisons de ce four ? L’opéra est jugé trop long, il n’a que deux actes, et des rumeurs disent qu’un éditeur rival aurait organisé ces protestations. Puccini parle d’un « véritable lynchage » le lendemain de la représentation, dans une lettre à un ami.

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Mais persuadé du potentiel de son opéra, le compositeur n’abandonne pas. Il coupe des scènes, ajoute un troisième acte... Et l’opéra est présenté quelques mois plus tard dans sa nouvelle forme : cette fois-ci, il triomphe ! Pourtant Puccini continue de le retoucher. « L'opéra est retravaillé à plusieurs reprises. On ne peut donc pas dire qu'il existe une version définitive de Madame Butterfly. Chaque directeur d'orchestre, chaque production peut choisir de mettre en scène une Madame Butterfly différente. » D’ailleurs, en 2016, la première version en deux actes de Madame Butterfly a été présentée à la Scala de Milan. Un succès plus de cent ans après sa création.

A voir et écouter :  Puccini, Madame Butterfly, opéra de Rennes, 16 juin 2022.

A lire : Giacomo Puccini, par Norberto Cordisco Respighi, édition bleu nuit.

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