Nijinski, le "clown de Dieu" : "Ma folie, c'est mon amour envers l'humanité"

Vaslav Nijinsky, danseur de ballet russe, dans "L'Apres-midi d'un Faune", 1912. Nijinsky (1889-1950)  ©Getty - art Media/Print Collector
Vaslav Nijinsky, danseur de ballet russe, dans "L'Apres-midi d'un Faune", 1912. Nijinsky (1889-1950) ©Getty - art Media/Print Collector
Vaslav Nijinsky, danseur de ballet russe, dans "L'Apres-midi d'un Faune", 1912. Nijinsky (1889-1950) ©Getty - art Media/Print Collector
Publicité

Ecoutez la lecture du journal intime de Nijinski par Bruno Cremer. Si ce journal éclaire certains aspects dramatiques d’un génie de la danse, il est aussi le témoignage d’un homme en proie à des hallucinations mystiques.

Avec
  • Bruno Cremer

Le clown de Dieu parle. Ou plus précisément, il écrit, il écrivait. La folie le guette. Va-t-il perdre la raison ? "C’est exprès que je simule la folie", prétend Vaslav Nijinski. Il tient un journal, il se sent capable d’écrire et de méditer sur plusieurs sujets à la fois. Personne n’a le droit de toucher à ses cahiers, ni d’en prendre connaissance. Vœu pieu, non exaucé, s’il l’on en croit cette émission consacrée à ses journaux intimes, diffusée pour la première fois sur Paris Inter en 1956. Les pages écrites par le célèbre danseur russe lors d’un séjour à Saint-Moritz entre 1917 et 1919, retrouvées des années après dans une vieille valise, sont lues par Bruno Cremer.

Revue de presse culturelle d'Antoine Guillot
6 min

Il ne voulait pas être un grand écrivain, ou même faire de belles phrases. Selon Roger Pillaudin, c’est cette absence d’ambition littéraire qui donne à ses écrits le charme vierge des œuvres primitives et laisse à ses confidences leur pureté intacte. 

Publicité

Vaslav Fomitch Nijinski est né à Kiev en 1889, de parents polonais. Il est élevé en Russie, et grandit au sein de l’école impériale de danse. À 15 ans, il dansait déjà comme une grande étoile, à 16 ans il devenait célèbre, enfin, à 19 ans, il est emmené à Paris et conquiert aussitôt une gloire qui n’a pas d’égale dans le ciel de la danse. 

Pendant la guerre 14-18, il est interné en Hongrie. Il ressent les premiers symptômes de sa maladie, sa folie. C’est au cours d’un séjour en Suisse où il se soigne, qu’il se met à tenir un journal. Ses notes constituent une suite d’anecdotes, de souvenirs et de jugements. Nijinski y expose ses idées, sa philosophie de vie… Il y évoque aussi ses hallucinations. La lecture de ses journaux devient alors bouleversante. On y voit la folie de son auteur se dessiner avec une poignante netteté. 

Si ce journal éclaire certains aspects dramatiques d’un génie de la danse, il est aussi le témoignage d’un homme en proie à des hallucinations mystiques.

Ma femme (…) me croit fou. C’est une idée qui lui est venue d’avoir trop réfléchi. Moi, je réfléchis peu et tout ce que j’éprouve s’éclaire de ma propre lucidité. Je ne ressens les choses que par la chair, sans l’entremise de l’intelligence. Je suis chair et sentiment. Dieu en chair et en sentiment. Non pas Dieu, mais homme. Un homme simple astreint à communiquer avec le monde au seul moyen du sentiment, et qui peut se passer de réfléchir.

Les savants se cassent la tête à mon sujet, ils sont perplexes. De leurs vaines supputations il ne ressortira rien. Ce ne sont que des sots. Mon élocution est aisée et mes propos sont dénués de malice

C’est exprès que je simule la folie, pour obtenir ce que je veux. Si les gens savaient que je suis un fou inoffensif, plus personne n’aurait peur de moi j’en suis sûr. Ceux qui ne voient en moi qu’un aliéné dangereux, je m’en écarterai, moi, le fou qui aime l’humanité. Car ma folie, c’est mon amour envers l’humanité. Sans fortune, sans le désir d’en posséder, je n’ai besoin que d’amour. 

Nijinsky, dans "Le spectre de la Rose", 1911
Nijinsky, dans "Le spectre de la Rose", 1911
© Getty - E. O. Hoppe/Hulton Archive
  • Par Roger Pillaudin
  • Interprétation Bruno Cremer, Michel Bouquet, Jean Poiret, Michel Serrault, Ariane Borg et Pierre Reynal
  • Journaux intimes du XXème siècle - Nijinski 
  • 1ère diffusion : 25/06/1956 Paris Inter

L'équipe