Le compositeur Krzysztof Penderecki est l’une des plus grandes figures de la musique contemporaine. Loin des salles de concert traditionnelles, sa musique apparaît également parmi les plus célèbres bandes originales de l’histoire du cinéma, et notamment des films d’horreur.
Le compositeur polonais Krzysztof Penderecki a marqué la musique polonaise et l’évolution de la musique contemporaine au XXe siècle, mais également l’histoire du cinéma. Ses œuvres accompagnent plus d’une trentaine de films dont plusieurs films d’horreurs légendaires du septième art tels que The Exorcist et The Shining.
Si de célèbres réalisateurs comme Alain Resnais, William Friedkin, Stanley Kubrick, Wes Craven, Alfonso Cuarón, Martin Scorsese, Steven Spielberg et David Lynch font appel aux œuvres du compositeur polonais, c’est pour sa capacité inégalée à créer et évoquer des univers sonores puissants et sombres, souvent provocateurs de sensations inconfortables. Pour ces cinéastes radicaux et expérimentaux, cette musique sert à amplifier le choc visionnaire et souvent terrifiant de leurs films.
Pourtant, la plupart des musiques de Penderecki n’ont pas été composées pour les films qu'elles accompagnent. Les réalisateurs choisissent plutôt dans le catalogue actuel du compositeur. Si la musique s’adapte parfaitement aux traumatismes et aux angoisses des films, c'est qu'elle est elle-même liée aux traumatismes de l'enfance : elle donne vie aux domaines sombres et primaires de notre imagination ; elle est une manifestation musicale de notre inconscient.
Le sonorisme
La musique de Penderecki se divise en deux périodes et styles distincts : la première période est atonale et « sonoriste » jusqu’au début des années 1970, et elle est suivie tandis que la seconde affiche un retour au néo romantisme, à la mélodie et aux harmonies plus traditionnelles.
En tant que jeune compositeur avant-gardiste des années 1960, il s’inspire du mouvement polonais « coloriste », incarné par des compositeurs comme Karol Szymanowski. Souhaitant libérer le son de toutes traditions et règles musicales, et notamment du sérialisme strict de la Seconde école de Vienne, Penderecki s’inscrit dans une nouvelle pensée musicale : le « sonorisme ».
Ce mouvement se concentre sur la création de nouveaux effets et couleurs sonores à travers une expérimentation de timbre et d’articulation, de combinaison de textures, de tension et de relâche, mais aussi de sons instrumentaux inhabituels comme les suraigus, les sons stridents, l’ultra-chromatisme et les groupes d’accords dit « clusters ». Penderecki fait également appel dans sa musique à divers objets non-musicaux comme de la tôle, du verre, des machines à écrire, des sons électriques, des sifflets et des sirènes d’alarme.
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La tension, les sons inhabituels, le manque de repères mélodiques et musicaux : trois éléments essentiels de la musique de Penderecki des années 1960 qui se s'affichent également du côté du septième art depuis les premières bandes originales de films d’horreur et d’angoisse, dans les musiques de Bernard Herrmann par exemple.
Ce sont donc ces œuvres « sonoristes » de Penderecki, composées pendant sa première période, qui ont particulièrement inspiré le monde du cinéma d’horreur et ses réalisateurs : « Ma musique est plutôt abstraite et peut même sembler étrange pour certaines personnes, c'est peut-être pour cela qu'elle a été utilisée dans de nombreux films d'horreur et thrillers », explique le compositeur en 2010 lors d’une interview avec le journaliste Kevin Filipski.
L’entrée de Penderecki dans le cinéma
Avant de s’inscrire dans l’histoire du cinéma, les premières expériences cinématographiques de Penderecki sont beaucoup plus « légères ». De nombreux réalisateurs de l’école polonaise d’animation font appel au jeune compositeur pour leurs courts-métrages : il compose notamment une musique pour piano néoclassique presque jazz pour Scyzoryk [Le Canif] de Leszek Lorek, une musique électroacoustique pour Słodkie rytmy [Rythmes Doux] de Kazimierz Urbański, et un collage d’œuvres connues, de musiques traditionnelles et d’airs de danse pour Don Juan de Jerzy Zitzman.
Ce n’est qu’en 1965 qu’il écrit sa première musique pour un long-métrage, Rękopis znaleziony w Saragossie [Le Manuscrit trouvé à Saragosse] de Wojciech Has. Le mélange de timbres et de styles acoustiques et électroacoustiques crée un effet presque schizophrénique et désorientant pour le public.
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En 1973, le réalisateur américain William Friedkin est à la recherche d’une musique pour accompagner son film d’horreur The Exorcist. Il fait d’abord appel à Bernard Herrmann puis à Lalo Schifrin, deux géants de la musique de cinéma qu’il évince par la suite, n’ayant pas trouvé la musique qu’il cherchait. Il décide plutôt d’utiliser plusieurs extraits d'œuvres de Penderecki dont Kanon, le Concerto pour violoncelle, le Quatuor à cordes, Polymorphia et l’opéra atonal The Devils of Loudun (un choix intéressant car ce dernier partage avec le film de nombreux thèmes comme la religion et l’hystérie sexuelle.) La musique est utilisée de manière clairsemée pour faire croître la tension, et apparaît même loin des scènes visuellement horrifiantes afin de faire planer un air d’angoisse durant tout le film.
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The Exorcist fut un immense succès, en grande partie grâce à sa musique : à sa sortie, The New Republic affirme que « la musique est irréprochable, dont la plupart est composée par Krzysztof Penderecki, qui est enfin à sa place. » Si Penderecki profitait surtout d’un succès auprès des critiques avant son entrée dans le monde du cinéma, il sera largement applaudi par de nombreux publics dès cette première révélation.
Profondément marqué par The Exorcist, Stanley Kubrick fait également appel à Penderecki pour son film The Shining (1980). Les œuvres telles que De Natura Sonoris No.1 , The Awakening of Jacob et Utrenja sont utilisées pour refléter le mal surnaturel de l’hôtel Overlook et la descente dans la folie de Jack Torrance. La musique de la scène finale, la mort de Jack, est en vérité une compilation de plusieurs extraits d’Utrenja :
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Musique politique et cinéma de guerre
Bien plus qu’une simple musique qui « fait peur », la musique de Penderecki est forgée et inspirée par le conflit et la guerre qu’il côtoie quotidiennement en tant qu’enfant: “Je ne vivais pas dans une époque facile. Peut-être que si j’étais né en Nouvelle-Zélande, je n’aurais jamais composé le Requiem polonais ou d’autres œuvres liées à l'histoire de la guerre », explique-t-il en 2013 à la Louisiana Channel.
Ainsi, pour les films tels que Children of Men (2006) d’Alfonso Cuarón et notamment Katyń (2007) d’Andrzej Wajda (l’oncle de Penderecki est mort lors du massacre de Katyń), la musique apporte une tension et une profondeur particulièrement adaptée aux images sur le grand écran.
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La musique de Penderecki est également utilisée dans les séries de télévision. En 2017, le réalisateur David Lynch (qui avait déjà utilisé les œuvres de Penderecki pour ses films Wild at Heart et Inland Empire) fait appel au Threnody : for the Victims of Hiroshima dans l’épisode 8 de la saison 3 de Twin Peaks.
Alors que l’épisode conceptuel met en image le premier essai d'une arme nucléaire par les États-Unis, surnommé « Trinity », l’œuvre musicale aux inspirations identiques assume le rôle principal.
Plus récemment, si le nom de Penderecki ne se retrouve pas directement dans les génériques des films There Will be Blood et The Phantom Thread, on y décèle sa présence dans la musique par l'influence profonde qu'elle a eu sur le compositeur Johnny Greenwood. Ce dernier fait également appel aux nombreuses techniques avancées par Penderecki comme les « clusters », l’aléatoire, et l'importance accordée à la sonorité et à la texture musicale.
Le cinéma a su offrir aux œuvres de Penderecki un contexte visuel à travers lequel un large public a pu découvrir et mieux comprendre sa musique contemporaine. A plus grande échelle, cette visibilité cinématographique a pu également permettre à la musique « classique » de s’émanciper de son isolement, selon le compositeur :
« La musique classique dans les années 1950 s’était isolée de la musique populaire, mais depuis, doucement, petit à petit, à mon avis en commençant par le cinéma, elle a commencé à revenir. Ils s’inspirent de nous et, quand il s’agit de parler à un public plus large, on s’inspire d’eux » raconte-t-il lors d’une interview en 2015 avec Culture.pl.
Références