Pologne, "Immigration" : épisode • 5 du podcast Les termes du débat européen

Image extraite du film Green Border de Agnieszka Holland - Agata Kubis
Image extraite du film Green Border de Agnieszka Holland - Agata Kubis
Image extraite du film Green Border de Agnieszka Holland - Agata Kubis
Publicité

Dans son nouveau film "Green Border" la réalisatrice Agnieszka Holland met en scène la crise migratoire à la frontière polono-biélorusse. Que fait l'immigration à la Pologne, dans ce pays anciennement d'émigration ? Comment le nouveau gouvernement se positionne-t-il face à ce sujet ?

Avec
  • Agnieszka Holland Réalisatrice polonaise
  • Valentin Behr Chargé de recherches au CNRS en science politique

Nombre de reportages et de récits nous sont parvenus de l’entrée presque impossible des migrants en Méditerranée et des push-back, pourtant interdits, repoussant loin des côtes de Grèce ceux qui tentent d’entrer dans l’Union européenne.

Mais nous en savons beaucoup moins sur les frontières orientales de l’Europe, là où en 2021, le gouvernement biélorusse organisait depuis la Turquie l’arrivée de syriens, d’afghans ou d’africains qu’il encourageait à passer la frontière polonaise pour pénétrer dans l’Union.

Publicité

C’est cette terrible histoire que met en récit le dernier film de la grande réalisatrice Agnieszka Holland,  «Green Border», qui sort en salles mercredi.

Nous y suivons le calvaire de celles et ceux, femmes, enfants, vieillards, qui ont cru qu’il serait simple de passer la frontière de barbelés traversant la forêt de Bialowieza pour entrer en Europe.

Le film se déroule en 2021, alors que le pouvoir polonais est incarné depuis 6 ans par le parti Droit et Justice qui a été porté au pouvoir au moment de la grande crise migratoire de 2015.

Mais depuis la sortie du film, l’opposition incarnée par Donald Tusk est arrivée au pouvoir. Pour autant, la politique migratoire de la Pologne a-t-elle changée ? Comment se pose la question de l’immigration lorsque l’on est un pays qui a connu pendant des décennies l’émigration et qui devient depuis cinq ou six ans une des principales portes d’entrée migratoire en Europe ?

En Pologne, le refus d’une immigration extra-européenne

Valentin Behr rappelle que la Pologne a créé une véritable « mythologie nationale » qui « oublie que avant 1939, la Pologne est un pays quand même beaucoup plus divers, sur le plan confessionnel et ethnique qui comptait un tiers de minorités nationales. C’est donc primordial de se souvenir que la Pologne comme Etat homogène, peuplé de polonais catholiques c’est le résultat de la Seconde Guerre mondiale, d’un processus historique extrêmement violent ». Pour lui, c’est donc cette mythologie nationale qui permet de comprendre le refus d’une immigration extra-européenne. Il poursuit : « Il faudrait aussi rappeler que le phénomène de l'arrivée d'un ensemble de migrants venus du Moyen-Orient et d'Afrique à l'automne 2021, s’inscrit dans un contexte un peu particulier puisque c'est le gouvernement biélorusse qui prend l'initiative de faire venir des migrants dans un contexte de tensions exacerbées aussi aux frontières orientales de l'Union Européenne ».

Dans le cadre de son processus créatif, Agnieszka Holland apporte son regard sur la question : « Quand la crise migratoire a commencé sur la frontière polonaise et biélorusse, j'ai compris qu'il y avait ici une histoire avec un lien direct avec le passé. Il fallait que je regarde de près ce qu’il se passait et pourquoi. Dans mon film, j’ai donc essayé de raconter cette histoire à ma façon, avec l'appareil cinématographique qui est le mien. En suivant la situation de la migration en Europe à partir de 2015 j’ai compris que l’Union Européenne n’avait pas la réponse adéquate. Aussi, j’ai compris à quel point il était facile de fermer les yeux et d'extérioriser les problèmes ».

L’arrivée de Donald Tusk au pouvoir, vers un changement de la politique migratoire ?

Pour Valentin Behr, le nouveau gouvernement du chef de file des pro-européens, Donald Tusk, met fin à huit ans de pouvoir conservateur. Toutefois, en ce qui concerne la politique migratoire, le chercheur doute d’une éventuelle amélioration : « Je ne crois pas forcément à une nette évolution de la politique migratoire polonaise parce que, finalement, la politique restrictive en matière d’immigration est un problème européen. De plus, Donald Tusk a déjà affirmé que la Pologne n’appliquerait pas le pacte migratoire européen qui prévoit de répartir les migrants dans les différents pays européens ».

Agnieszka Holland ajoute : « En ce qui concerne la politique migratoire, il est vrai, la volonté politique n’est pas là. Mais la différence avec le gouvernement précédent, c’est que désormais, on peut discuter, nous avons la possibilité d’instaurer un dialogue. Il faut aussi préciser que Donald Tusk n’est que premier ministre et qu’il a en face de lui un président appartenant au parti Droit et Justice qui a annoncé qu’il ferait usage de son droit de veto sur les questions migratoires. Mais je pense qu’il faut tout de même soutenir cet élan, le fait que la Pologne ne se soit pas résignée en choisissant un gouvernement plus progressiste ».

Cultures Monde
58 min

Pour aller plus loin :

- Valentin Behr est l'auteur de l'ouvrage  Science du passé, politique du présent (Editions du Croquant, janvier 2024)

- A regarder sur Arte  :  Migrants, les failles de l'Europe forteresse

L'équipe