Quand la maternité fertilise la littérature, en cinq livres passionnants

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Quand la maternité fertilise la littérature, en cinq livres passionnants

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Personne qui lit dehors.
Personne qui lit dehors.
© Getty - Aurelie and Morgan David de Lossy

Être mère, ça donne à penser. En effet, c'est aussi une aventure intellectuelle. Des autrices se sont attelées à ce sujet, en en faisant matière à réflexions ou à intrigue, et c'est passionnant.

Alors que la maternité avait longtemps été absente de la littérature et de la philosophie, elle semble y faire une entrée en fanfare depuis quelques années. Cette expérience, pourtant si universelle, était tue ou, en tout cas, absente, voire dénigrée dans les écrits intellectuels.

L'on constate aujourd'hui qu'elle peut pourtant constituer un formidable terreau littéraire. Des autrices s'y frottent donc avec un certain succès, qu'il s'agisse de réflexions métaphysiques sur le possible bouleversement identitaire, de témoignages intimes et sensibles, ou encore de polars ou de thrillers haletants. Dans cette sélection, il y en a pour tous les goûts.

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"Des Murmures", d'Ashley Audrain : thriller à la sauce Desperate Housewives

Dans "Grand bien vous fasse" (consacré aux films de Steven Spielberg), Yolaine de Chanaud, rédactrice en chef du Parisien Week-end, évoquait un véritable coup de cœur pour le livre Des Murmures, dont elle louait l'écriture fine et incisive, teintée d'ironie et de cynisme. L'histoire se déroule dans un quartier résidentiel de banlieue. On imagine l'Amérique du Nord, dans un milieu privilégié, avec une ambiance à la Desperate Housewives, ses barbecues, les voisins qui se connaissent, etc.

Grand bien vous fasse !
52 min

Qui sont les personnages de ce thriller maternel ? Yolaine de Chanaud : "Whitney, c'est la flamboyante businesswoman. Elle a trois enfants et c'est la sexy de la bande. Il y a Blair, moins sexy, la mère de famille dévouée avec sa fille unique, et qui prépare les lunch box avec application. Rebecca est la courageuse médecin. Elle est abonnée aux fausses couches. Elle n'arrive pas à être mère et c'est sa douleur. Et puis Mara qui nous sert un peu de témoin de tout ça. C'est une modeste octogénaire qui surveille très discrètement ce petit monde".

Dans ce paysage de suburb tranquille, va survenir un terrible accident qui va troubler la tranquillité de toutes et tous. Le fils de Whitney est tombé par la fenêtre de sa chambre, située au dernier étage de la maison, et ses jours sont en danger. La rumeur va bon train et les langues se délient. On se demande très vite si Whitney n'est tout de même pas un peu responsable parce que toutes et tous se souviennent du jour où elle a injurié et hurlé sur son garçon de neuf ans. L'invitée de "Grand bien vous fasse" explique que chaque chapitre livre la version de l'une de ces quatre femmes et à travers leur regard, on découvre aussi leurs secrets, leurs fêlures, leurs jalousies.

Des Murmures, d'Ashley Audrain, traduit par Julia Kerninon, JC Lattès, 2024.

"La gosse", de Nadia Daam : une mère et sa fille

Comme le dit Nicolas Demorand dans ses 80's, c'est Titiou Lecoq qui décrit le mieux le contenu de ce petit livre, qui peut se lire d'une traite tant il est captivant : "C'est la plus belle déclaration d'amour d'une mère à sa fille. Souvent, on a l'inverse, une écrivaine qui parle de sa mère. Ici, Nadia parle de sa gosse, mais surtout d'elle-même et elle ne s'épargne pas."

2 min

Au début du récit, le père de la gosse meurt, s'ensuivent plusieurs semaines de silence entre la mère et sa fille, alors qu'elles campent dans une cabane-lit, fait avec un clic-clac déplié et un toit en housse de couette dans le salon, en regardant la télé et en mangeant des nachos et des quesadillas. Puis Nadia Daam décrit ses manquements, ses erreurs, aussi bien que ses efforts pour que sa fille grandisse sereinement, et puis ses ambitions en tant que parent qui se heurtent parfois à la réalité. Elle parle de leur famille à deux, monoparentale, qui ne ressemble pas à celle des parents de l'autrice, ni à celle des parents des copines de sa fille, "un petit miracle d'ébénisterie. Un tabouret dont le troisième pied s'est décroché et qui tient encore debout", comme l'autrice l'écrit. Nadia Daam raconte aussi ses histoires d'amour difficiles en tant que mère célibataire, et espère ne pas avoir donné un mauvais exemple à sa fille, en montrant ses relations avec certains hommes qui l'ont traitée comme un paillasson.

L'autrice explique aussi qu'elle a consigné les premières fois de la gosse – qu'elle regardait déjà avec une certaine mélancolie – dans des carnets très chers, parce qu'elle n'en connaîtra jamais d'autres : "Les enfants ont beau être d'abominables petits cabots*, ils ne reviennent jamais pour les rappels."*** Un livre très beau et émouvant dont la fin marque une nouvelle étape dans la relation de ces désormais deux femmes.

La Gosse, de Nadia Daam, Grasset, 2024.

À écouter : Famille & co
Famille & Co

"Être mère", dirigé par Julia Kerninon : la puissance du collectif

Dans ce livre collectif, les voix d'autrices mères exposent diverses facettes de la maternité (la peur, l'accouchement, l'allaitement, etc.) avec beaucoup de finesse. Elles narrent leur vécu avec sensibilité, et pour certaines une touche d'humour.

Adeline Dieudonné consacre son texte à la peur, qui ne lâche pas les parents, et les obsessions vis-à-vis de certains dangers qui parfois nous habitent. L'autrice de Kérozène est sans arrêt angoissée à l'idée qu'il y ait une attaque terroriste dans l'école de ses filles. Clémentine Beauvais, avec son humour – presque british – habituel, fait porter ses questionnements sur l'accouchement. Doit-elle choisir un accouchement avec ou sans péridurale ? Elle navigue entre de nouvelles injonctions à un accouchement physiologique et une liberté plus grande pour les femmes de choisir une naissance qui leur convient.

Camille Anseaume, quant à elle, raconte les deux fois où elle est devenue mère, à douze ans d'écart, et toujours avec le même bonheur. Elle introduit même son récit, à la fois touchant et amusant, par cette phrase : "Je n'ai pas fait de dépression du post-partum. Ça me complexe beaucoup, parce que toutes mes amies intelligentes en ont fait une." Victoire de Changy décrit sa vie avec ses enfants, et aussi en quoi ils l'ont transformée, elle qui a été pendant ses deux grossesses une version vaudevillesque d'elle-même à cause des hormones. Ce qui d'ordinaire la réjouissait l'exaltait et ce qui la blessait l'anéantissait.  Claire Berest écrit le tourbillon que constitue la maternité, et le changement de vie, pour toujours. Louise Browaeys, à la fois autrice et ingénieure agronome, évoque l'allaitement, délaissant les statistiques pour restituer sensations et intuitions.

Être mère, dirigé par Julia Kerninon, L'Iconoclaste, 2024.

La Grande table culture
27 min

"Le bébé", de Marie Darrieussecq : le livre-ami

Marie Darrieussecq est partie de son expérience personnelle pour écrire un livre intime, à partir de carnets qu'elle a noircis à la naissance de son fils. Remarquant la quasi-absence de ce sujet de la maternité dans la littérature, elle s'est attelée dès 2002 à relater ses questionnements, ses tâtonnements face à ce nouvel être et au soin qu'il devait recevoir. Elle trouvait ça extrêmement angoissant de s'occuper de ce bébé et a écrit ce livre pour ça.

53 min

Dans "Le grand atelier" consacré à Marie Darrieussecq, suite à la parution de son nouveau livre Fabriquer une femme, l'autrice avait invité  Juliette Armanet. Cette dernière en profitait pour louer le livre Le Bébé, qui l'avait grandement aidée lorsqu'elle-même était devenue mère. Elle le décrit comme un "livre ami". Juliette Armanet : "C'était une œuvre littéraire qui allait chercher un sujet dont pratiquement personne s'est emparé." Pour elle, c'est un chef-d’œuvre de pureté et d'impureté. "On était plusieurs copines à avoir des enfants un peu en même temps et on se filait ce livre un peu comme sous le manteau, presque comme un truc de résistance. Lis ça, ça va t'accompagner, ça va t'aider à comprendre tes émotions, à mettre des mots sur tout ce que tu peux ressentir et sur ce que très peu de gens sont capables d'entendre aussi, parce qu'il y a un tabou social énorme. Même ma propre mère a un peu menti en me disant que c'était facile, que c'était évident, la maternité."

Le Bébé, de Marie Darrieussecq, P.O.L., 2002

"L'effet maternel", de Virginie Linhart : mère célibataire

C'est un livre sur une jeune femme qui est abandonnée par l'homme qu'elle aime, alors qu'elle est enceinte. Cette femme, c'est Virginie Linhart. Dans "Être et savoir" sur France Culture, elle revenait sur l'expérience de la maternité : "Je trouve que rien n'est plus fort dans l'épreuve du réel que l'arrivée du bébé. Et à ce moment-là, oui, ça donne à réfléchir."

43 min

Dans ce texte, elle raconte à la fois l'éducation non-conformiste reçue par sa mère, qui était toxique et questionne sa position de femme enceinte, mère célibataire tout au début de la vie de l'enfant. Virginie Linhart déplore la maigre représentation des mères célibataires : "J'ai l'impression qu'il n'y a pas cette place-là des femmes, des femmes de mon milieu qui pourraient avoir un enfant toute seule et c'est très difficile, il y a un jugement. Les gens sont très conformistes. Moi, j'ai très tôt dans la vie de ma fille rencontré mon nouveau compagnon qui est également le père de mes deux autres enfants et qui l'a adoptée, qui est son papa absolument. Mais ce temps où j'étais toute seule avec ce bébé, il m'a paru incroyablement difficile parce que j'avais l'impression que j'étais anormale, qu'il n'y avait pas de place pour une mère avec un enfant. C'était il y a plus de 20 ans et peut-être que les choses ont un peu évolué avec le Mariage pour tous, avec la PMA, etc. Mais c'est vrai que je me suis beaucoup interrogée sur cette manière qu'on avait de regarder ces femmes célibataires avec les enfants. Comme si elles l'avaient fait exprès, elles l'avaient bien cherché, elles avaient fait un bébé dans le dos."

Famille & co
4 min

Virginie Linhart parle aussi dans ce livre de sororité, car ce sont ses amies qui lui ont appris beaucoup de choses sur la maternité, qui ne lui ont pas été transmises par sa mère, et puis comment "élever son enfant avec imagination". Car comme pour écrire, la maternité nécessite une bonne dose d'imagination.

L'effet maternel, de Virginie Linhart, Flammarion, 2020.

In utero
24 min

La maternité ne fertilise pas que la littérature, mais aussi les essais incarnés. France Inter rassemble des voix de mères, souvent autrices, aux parcours divers qui réfléchissent à ce que veut dire être mère, quand on ne rentre pas dans des cases.  Une sélection d'épisodes de la série en Marge met les mères à l'honneur, toutes les mères. Sortie le 24 mai !

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