Europe, princesse venue d’Asie

L’enlèvement d’Europe par Zeus transformé en taureau, peinture à l’huile sur bois, v. 1570, Jean Cousin le Fils, Château de Blois ©AFP - Manuel Cohen
L’enlèvement d’Europe par Zeus transformé en taureau, peinture à l’huile sur bois, v. 1570, Jean Cousin le Fils, Château de Blois ©AFP - Manuel Cohen
L’enlèvement d’Europe par Zeus transformé en taureau, peinture à l’huile sur bois, v. 1570, Jean Cousin le Fils, Château de Blois ©AFP - Manuel Cohen
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C’est l’histoire bien connue que nombre de poètes ont raconté : Zeus qui, transformé en taureau, emporte malgré elle la princesse phénicienne Europe sur la mer vers sa nouvelle destination, la Crête. Un mythe qui raconte qu'aucune racine ne tient dans un monde ouvert et perpetuellement mouvant.

Vous allez comprendre que le mot grec Eurôpé, existait bien, était très connu, mais employé avec un double sens, qualifiant à la fois une réalité géographique mais aussi un être vivant, une princesse divine flamboyante.

Si les savants discutaient très souvent sur la forme, l’étendue et les limites de l’Europe comme des autres continents, vous allez découvrir que les Grecs s’en fichaient un peu de définir l’Europe, de fixer ses limites avec précision. Ce qui comptait, ce n’était pas vraiment la géographie, mais l’histoire des mouvements et des échanges. Afrique, Asie, Europe, le monde était certes cadastré, mais où rien n’était fixe, où les peuples, les héros et héroïnes changèrent tout le temps de lieu, traversèrent les mondes, les frontières, dans des allers-et-retours permanents. L'Europe était un monde mouvant, de migrations dans tous les sens !

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Le mythe d'Europe : une force divine d’épanouissement mouvante

Europe, avant d’être un territoire, est une divinité mouvante qui symbolise le passage entre des mondes différents. Parmi les princesses prénommées Europe, la plus connue, c’est une Europe de l’Est, provenant d’Asie, de Phénicie (actuel Liban). C’est elle, selon plusieurs auteurs anciens, qui aurait donné son nom à notre continent, et cette princesse n’est originellement pas européenne. Elle est la fille d’un roi asiatique de la Phénicie, que Zeus aurait enlevée en prenant la forme d’un taureau pour l’emmener en Crète.

Bienvenue en Grèce, dans la ville d’Argos, au cœur du Péloponnèse, où tout commence avec le désir amoureux et impérieux de Zeus qui va forcer, avec ce mythe, les mortels à se déplacer systématiquement à travers le monde et faire en sorte qu'aucun chez soi ne compte. Dans ce mythe, l’obligation divine de s’exiler prend la forme d’un taureau, car le destin d’Europe n’est pas de rester chez elle, en Phénicie. Elle sera, par la volonté de Zeus, arrachée à son lieu d’origine, et entraînée de force vers la Crète.

L’histoire comme va-et-vient permanent entre différents mondes

Le monde est ainsi à la fois un et divisé. Aucune racine ne tient dans ce monde ouvert et commun, où chacun peut changer de place systématiquement entre l'Asie, l'Afrique et l'Europe. Le mythe d’Europe raconte qu’il n’y a pas pour les Grecs de blocs géographiques compacts et que la frontière entre les continents est constamment mouvante, franchie, et la Grèce diverse n’a pas d’unité profonde, mais elle est multiple, divisée en un essaim de cités qui se proclament toutes autonomes.

Références

Textes cités ou mentionnés

Le mot « Europe » désignant une partie de la Grèce : Hymne homérique à Apollon I, v. 247-253. Traduction personnelle, comme pour les autres citations, sauf mention contraire.

L’Europe s’arrêtant à l’Est au fleuve Phase : Eschyle, Prométhée délivré, fragment 191 Radt, VIIa Griffith.

La ville de Gabès (= Cadix), limite occidentale de l’Europe : Pindare, Néméennes IV, v. 69 s.

Navigateurs phéniciens descendant vers le sud le long des côtes d’Afrique et voyant le soleil sur leur droite (vers le Nord) : cf. Hérodote, Histoires, IV, 42.

Europe et Asie filles d’Océan et de Téthys. Début du catalogue des Océanides : Hésiode, Théogonie, v. 356-358.

Le rêve d’Europe, son enlèvement par Zeus : Moschos (poète alexandrin), épopée Europe.

Définition du « chez soi » (home) par T. S. Eliott : Four Quartets, « East Coker », V, v. 19.

La Crète de Minos : Homère, Odyssée XIX, v. 172-179.

Les plaintes d’Europe âgée : Eschyle, Les Cariens ou Europe, fragment 99 Radt.

La succession des enlèvements de femmes entre l’Europe et l’Asie : Hérodote, Histoires, I, 2-4. Traduction Ph.-E. Legrand, Paris, Les Belles Lettres, 1932.

Ouvrages conseillés

Sur la portée du mythe d’Europe enlevée par Zeus en Asie : Heinz Wismann, Lire entre les lignes. Sur les traces de l’esprit européen, Paris, Albin Michel, 2024.

La série des femmes appelées Europe dans les mythes : Francisco Diez De Velasco, « Les Mythes d’Europe. Réflexions sur l’Eurocentrisme », Mètis, 11, 1996, p. 123-132.

Sur le lien entre le mythe d’Io et la colonisation : Claude Calame, Qu’est-ce que la mythologie grecque ?, chapitre V, « Iô, les Danaïdes, l’étranger et l’autochtone : l’inflexion tragique », Paris, Gallimard (Folio essais), 2015.

Sur la Phénicie :

Pierre Rouillard, Michel Gras et Jean Texidor, L’Univers phénicien, Paris, Arthaud, 1989.

Corinne Bonnet, Élodie Guillon,et Fabio Porzia, Les Phéniciens : une civilisation méditerranéenne, Paris, Tallandier (Texto 4), 2021.

Sur Minos et la civilisation minoenne :

Brigitte Le Guen (dir.), avec Maria Cecilia D’Ercole et Julien Zurbach, Naissance de la Grèce. De Minos à Solon, 3200 à 510 avant notre ère, Paris, Belin, 2019.

Programmation musicale

MICHEL JONASZ - Océan 
THE DIVINE COMEDY - When the lights go out all over europe
HENRI SALVADOR - J'ai vu

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