L’intrus de l’actu donne chaque soir un coup de projecteur sur une personnalité qui aurait pu passer sous les radars de l’actualité.
Léon Gautier était mardi 6 juin aux côtés d’Emmanuel Macron pour saluer la relève du commando Kieffer, ce prestigieux groupe de combattants, pour les commémorations du "D-Day" à Colleville Montgommery. Le centenaire qui se déplace en fauteuil roulant a vu s’agenouiller devant lui le meilleur des 21 nouveaux sélectionnés du commando Kieffer, pour qu’il lui visse le béret vert sur la tête, couché à droite, badge à gauche, à l’anglo-saxonne, en mémoire de ces commandos constitués en Écosse en 1942. Léon Gautier est le dernier survivant de ces 177 hommes qui ont débarqué en premier ce 6 juin 1944.
Breton, né à Rennes le 27 octobre 1922, il est issu d’une famille modeste, très "anti-boche" comme on disait à l’époque. A 13 ans, il travaille déjà comme carrossier, 48 heures par semaine. En février 1940, il a tout juste 17 ans lorsqu’il s’engage dans la marine. Il embarque sur le Courbet et participe d’abord à la défense de Cherbourg. Puis rejoint l’Angleterre où il est envoyé dans un camp, dont il s’échappe lorsqu’il apprend l’existence d’un dénommé De Gaulle, un général qui tente de former une armée de volontaires pour continuer le combat. Il rejoint donc la France libre à Londres la veille du 14 juillet 1940. et défile même devant la future reine Elizabeth.
Dans les récits que Léon Gautier délivre au fil des ans, la grande histoire, l'honneur, le courage croisent de façon très touchante les anecdotes d’un gamin de 18-20 ans qui, par exemple, est assez fier de raconter qu’il emballait les jeunes Anglaises en faisant croire que les initiales FNFL sur son bonnet – "Forces navales françaises libres" – signifiaient en fait "French Navy for Love".
"On n'a pas vraiment regardé le paysage"
S’il intègre ce commando Kieffer, en tout cas, c’est qu’il est costaud, physiquement et mentalement. Il est sélectionné parmi les volontaires à 20 ans, en 1942. Les entraînements en Ecosse sont terribles, parfois à balles réelles. Beaucoup abandonnent. Lui décroche finalement le droit de porter le béret vert, devient fusilier marin commando. Il se bat au Cameroun, au Congo, en Syrie, au Liban. Le projet de débarquement, il en prend connaissance le 25 mai 1944. Ils prennent la mer vers l’île de Wight le 5 juin à 17h sous les ordres de Philippe Kieffer. Barge 523 pour lui. Puis à 22h30, direction Colleville où il pose le pied le 6 à 7h23 du matin. Dans le récit qu'il en faisait à nos confrères de France Bleu Normandie, il y a quelques mois, il restait surtout une très grande fierté. "On n'a pas vraiment regardé le paysage", raconte-t-il à propos de ce jour-là. Mais il sait qu’il a parcouru 19 km puis passé 78 jours et 78 nuits en première ligne dans une tranchée. Il n'oublie pas non plus le copain tombé ce jour-là, le haut de la tête arrachée à quelques mètres de lui.
Après la guerre, Léon Gautier est démobilisé, sans un sou. Il affirme n'avoir pas d'amertume. La République s’est rattrapée depuis, jusqu’à le faire aujourd’hui grand officier de la Légion d’honneur. A l’époque en tout cas, il retourne assez vite en Angleterre avec l'épouse, Dorothy, qu'il a rencontrée là-bas. Il reviendra en France pour travailler comme chef d'atelier, puis en Afrique. Il aura deux enfants. Et à la suite d'un grave accident, il rentre définitivement en France. A chaque commémoration, il est appelé par les maires de toutes les communes normandes, au point que sa femme suggère, dans les années 1990, qu’ils s’installent à Ouistreham, dans une petite maison au bord de l'eau... Il y est toujours.
L’une de ses autres fiertés, c’est qu’un de ses petits-fils ait pris la relève. Même avec un petit-fils dans le commando Kieffer, Léon Gautier a passé toutes les dernières décennies à donner des conférences, et se battre inlassablement "pour la paix". Autant dire que la guerre en Ukraine, sur le sol européen, a forcément un goût de cauchemar.
D'où son immense attachement à la transmission de la mémoire. Mais pas de n'importe quelle façon. Il y a trois ans, avec plusieurs descendants de ce commando Kieffer, il avait publié une tribune dans Le Monde contre un projet de site immersif sur le Débarquement ... qu'ils avaient baptisé ironiquement "D-Dayland".