Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Mercredi 29 mai 2024 : l’avocat, historien et chasseur de nazis, Serge Klarsfeld. Il publie "On pensait qu'il allait revenir" aux éditions Flammarion et il livre un témoignage fort dans une série de podcasts, en vidéo : "Mémoires de la Shoah".
Serge Klarsfeld est historien, avocat et écrivain, mais il est surtout un être à part, un rescapé de la Shoah, organisée avec détermination et inhumanité par les nazis, un miraculé du programme d'extermination des juifs. Vivre en tant que rescapé est le parcours infini du combattant d'autant plus qu'avec son épouse, il n'a jamais cessé de combattre. Il est notamment le président, depuis 1979, de l'Association des fils et filles de déportés juifs en France. Pendant le génocide en 1943, il n'était qu'un enfant, caché par son père dans une penderie derrière un double fond en carton, juste avant qu'il ne suive la Gestapo venue chercher sa famille.
Il publie On pensait qu'il allait revenir aux éditions Flammarion et dans le cadre de la série, Mémoires de la Shoah, initiée par l’ Institut national de l'audiovisuel (INA) et la Fondation pour la Mémoire de la Shoah, en vidéo, il remonte le temps en livrant un témoignage très personnel sur son parcours, ses choix et ses combats.
franceinfo : Votre père a été emmené par la Gestapo le 5 octobre 1943. Vous lui rendez hommage dans l'ouvrage : On pensait qu'il allait revenir aux éditions Flammarion. Ce livre était un hommage nécessaire pour vous ?
Serge Klarsfeld : C'était une interview, il y a une vingtaine d'années, qui a été faite par la Fondation pour la mémoire de la Shoah et par l'INA. C'est Flammarion qui a jugé que c'était peut-être un texte nécessaire. Le fait que je rende hommage à mon père, comme mon fils, Arno, a pris la relève, c'est quand même frappant...
"Mon père s'est sacrifié pour moi, mon fils se sacrifie pour nous. Comme d'autres sont bijoutiers de père en fils, nous, on est un peu historiens, un peu hommes d'action et aussi un peu juristes."
Quand ils viennent chercher la famille, votre père se dit : "Il faut que je les protège", il vous cache derrière une penderie et il se livre aux Allemands. Il dit que vous êtes partis à la campagne, il vous sauve la vie.
Oui, les Allemands nous ont cherchés dans l'appartement. L'un d'entre eux a rabattu les vêtements qui étaient placés devant la fausse cloison, mais il n'a pas touché la cloison et il ne s'est pas rendu compte qu'il y avait une cachette derrière. Bon, beaucoup de parents juifs ont également caché à travers l'Europe leurs enfants, mais souvent, ils ont été arrêtés comme Anne Frank.
Comment réagissez-vous à ce moment-là ?
On n'était pas très inquiets parce que mon père s'était déjà évadé de la captivité et il nous avait dit quelques jours avant la rafle : "Si les Allemands nous arrêtent, moi, je survivrai parce que je suis fort, et vous, vous ne survivrez pas". Et on l'a attendu. Mais malheureusement, comme il est arrivé à Auschwitz et qu'il a été impulsif, un kapo l'a frappé, il a riposté. Il a été envoyé dans un kommando de travail. Il a tenu très longtemps, mais au bout de neuf mois, il est mort.
Vous démarrez ce livre sur le discours historique de Jacques Chirac au Vélodrome d'Hiver, le 16 juillet 1995. Avec ce discours quelque chose bascule.
Oui, c'était un moment très important puisque Jacques Chirac rompt avec le général de Gaulle et rompt avec François Mitterrand. Il prononce cette phrase : "Ce jour-là, la France accomplissait l'irréparable". Il ne dit pas seulement : "l'État français", il dit : "la France".
"Grâce à Jacques Chirac, la France est bien au courant du rôle joué par Vichy, au point même que Marine Le Pen condamne Pétain et condamne la rafle du Vel d'Hiv."
Après la Seconde Guerre mondiale, on retrouve des nazis encore à la limite d'intégrer le pouvoir et qui se sont retrouvés un peu partout dans le monde. Et vous êtes allé les chercher.
Oui, surtout en Allemagne. Il fallait faire juger les Allemands, les criminels qui avaient organisé la solution finale en France. On les a fait juger, ça nous a pris dix ans. Ensuite, on a fait juger les complices français comme Bousquet ou Leguay. Klaus Barbie, on l'a retrouvé en Bolivie. Il a fallu aller pour Brunner, en Syrie, au Proche-Orient, etc. Beate, ma femme, se battait pour réhabiliter l'Allemagne et moi pour la mémoire des Juifs.
Êtes-vous fier de tout ce que vous avez pu réussir à faire jusqu'à aujourd'hui ?
Quand je vais mourir, j'aurai le sentiment quand même d'avoir accompli une mission que peut-être mon père m'a confiée et que je transmets à mon fils.
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