-
- C’est quoi “un enfant” ? Qui définit ce qu’est l’enfance ? Et qu’ont à en dire les enfants ? Dans quelle mesure cette catégorie est une construction socio-historique, aux contours mouvants ? Peut-on, dans l’histoire, saisir l’enfant comme “sujet” ?6 mai • 58 min
- De quoi, ou “par quoi”, est faite la parole des enfants ? Écouter les enfants, c’est prendre la mesure des rapports de pouvoir qui traversent notre société. Soumis à l’ordre familial et scolaire, ils les incorporent, et les reproduisent très tôt.7 mai • 58 min
- “Le premier droit d'être enfant, c’est d'être innocent.”, déclarait Emmanuel Macron en 2019. Les enfants des quartiers populaires, ou les anciens enfants placés, semblent nous raconter l’histoire d’un droit bafoué. Quelle justice pour les enfants ?8 mai • 58 min
- En France, un enfant meurt tous les cinq jours après avoir été victime de violences intrafamiliales et 160 000 enfants par an sont victimes d’inceste. L’ampleur des violences faites aux enfants impose de réfléchir aux rapports de pouvoir adulte-enfant.9 mai • 58 min
À propos de la série
Pour LSD, Clémence Allezard s'interroge sur la place des enfants dans la société. Entendre l’ampleur des violences subies et le peu d’espace accordé à leur parole. L’enfance est-elle une classe dominée ? À nous d'être “bien sages”… et d’écouter.
“L’oppression de l’enfant est première, et fondamentale. Elle est le moule de toutes les autres” Christiane Rochefort, Les Enfants d’abord, 1976.
Être innocent, à protéger, vulnérable, mais aussi irresponsable, irrationnel, ignorant, incompétent… Les représentations des enfants sont rarement questionnées, elles vont de soi, et rarement est adressé l’effet qu’elles ont sur les vécus enfantins. Brandies comme évidences, données biologiques, naturelles, indiscutables et indiscutées, elles justifient la dépendance - et la soumission - aux adultes, l’exclusion des affaires de la cité, jusqu’aux châtiments corporels. L'appropriation des enfants par les adultes. Pourtant, les enfants ont bien des choses à nous dire. Ils sont parmi les groupes sociaux, précisément du fait de leur extrême dépendance, les plus exposés aux violences, intrafamiliales d’abord mais aussi scolaires, institutionnelles au sens large - et ils n’échappent pas aux violences de genre, de race, de classe. Comme ils n’échappent pas à leur reproduction, selon leur position sur l'échiquier social.
La parole des enfants - entendu ici au sens de “mineur” puisque ce statut créé une borne entre l’enfance et l'âge adulte - qu’elle dise les violences, dénonce une situation d’oppression, remette en cause l’ordre établi ou qu’elle émette une opinion plus anodine, est raillée (souvenons-nous l’accueil réservé à l’activiste Greta Thunberg, 14 ans, lors de sa première apparition publique) quand elle n’est pas immédiatement disqualifiée. Les enfants mentent. Les enfants ne peuvent pas savoir. Les enfants ne savent pas ce qu’ils disent. Voilà des postulats utiles à l’état des choses tel qu’il est. Quant au proverbe “la vérité sort de la bouche des enfants”, autre lieu commun, il apparait sans effet sur la valeur accordée à leur parole dans les moments critiques.
Les enfants appartiennent sans nul doute à la catégorie des “subalternes”, dans sa conception gramscienne, ces groupes sociaux sans histoire, sans représentant (de leur groupe), sans capacité d’agir, réduits au silence. Le titre de cette série emprunte à la penseuse féministe indienne Gayatri Spivak qui, elle, pose la question, dans son célèbre article éponyme : “Les subalternes peuvent-elles parler” ? Question qui sous-entend : peuvent-elles être entendues ? C’est une interrogation qui a jalonné la fabrique de ces documentaires. À quelles conditions peut-on écouter les enfants ? À quelles attentes cette parole doit-elle répondre, à quelles logiques doit-elle obéir ? Accepte-t-on, collectivement, d’appréhender une parole d’enfant comme une “parole experte”, qui sait, qui analyse ? Écouter une parole subalterne, celle des enfants peut-être de surcroît, c’est nécessairement se décaler, se détacher de la matrice discursive dominante. À la fois pour accepter sa singularité, pour la juger crédible, pour accepter qu’elle déplace le sens commun.
À sa question, Spivak répond par la négative, compte tenu de l’ordre inégalitaire dans lequel nous vivons. Nous voulons croire en la radio comme ouvreuse d’espaces de parole – et d’écoute. Même une parole hésitante, même moins rodée, jugée inexpérimentée ou juste “trop mignonne”. “La passe est étroite, mais il faut bien commencer quelque part”, nous dit encore Christiane Rochefort.
Une série documentaire de Clémence Allezard, réalisée par Anne Fleury.