Les racismes

De l'ethnocentrisme du "nous" dissocié des "barbares" (depuis les Grecs de l'Antiquité dans une logique de guerre impérialiste) aux naturalistes Buffon ou Linné qui, répertoriant les espèces vivantes, se sont mis à classifier et à hiérarchiser les humains ; du racisme basé sur la religion au racisme scientifique d'Arthur Gobineau qui inspira le nazisme (longtemps retenu comme le théoricien de la supériorité de la race blanche) ; des stratégies de chosification et de bestialité pour justifier l'esclavage ou la colonisation au Darwinisme ; de la croyance à la méchanceté brute ; de l'ignorance à la manipulation, le racisme est sans doute la pire des plaies politiques et la mieux partagée au monde.

Mais - rappellent les historiens et historiennes tout au long des quatre épisodes - le racisme n'est absolument pas dans la nature humaine, il apparaît toujours construit, fabriqué, élaboré, théorisé pour justifier une domination, éviter une concurrence. Une stratégie culturelle ancienne visant à différencier ses intérêts dans un contexte impérialiste, pour qu'une entité politique puisse asseoir sa domination. Un héritage de logiques et de représentations du monde autocentrées qui conditionne encore largement aujourd'hui les défenseurs de romans nationaux, soucieux de se différencier du reste du monde. Les choses bougent, mais pour bien lutter contre ce fléau, cette maladie de la pensée humaine, encore faut-il en connaître les origines et les mécanismes.

Thomas Legrand cherche à débusquer les origines anciennes des différentes formes de racisme. Entre racisme, racialisme, universalisme et différentialisme, ce podcast est l'occasion de comprendre comment le respect de la variété humaine se confronte avec l'idée de son unicité, et comment le racisme nous permet de comprendre les mécanismes sociaux du rejet et de la violence de manière générale envers autrui.

Ethnocentrismes, proto-racismes

L'ethnocentrisme serait-il l'ancêtre du racisme ? Le racisme remonterait-il à la période de l'Antiquité ? Il nous faut remonter aux premiers ferments historiques de différenciations culturelles héritées des premières civilisations pour comprendre en quoi le racisme est l'héritage d'un ethnocentrisme historique et géographique. Car chaque civilisation a raconté son rapport au monde en insistant sur sa centralité culturelle propre, avec cette impression que le monde s'organisait en fonction de son entité politique d'appartenance, impliquant une exclusion géographique des altérités voisines. On se demande si  les Grecs cultivaient déjà cette proto-distinction lorsqu'ils qualifiaient les étrangers de "barbares".

Les maux du "racisme"

Nous verrons aussi que le sens du concept n'a jamais cessé d'évoluer, au point qu'il existe aujourd'hui différentes formes de racisme, culturel, scientifique, religieux, social. Alors comment déterminer quand commence le racisme ? À partir de quand cette combinaison de préjugés et de pratiques discriminatoires remonte-t-elle ? Si le mot a été inventé au début du XXᵉ siècle, le phénomène existe au moins à partir du  Moyen Âge, qui introduit les notions de pureté, de généalogie du sang, lesquelles conduiront à la déshumanisation raciale par la suite, par la voie coloniale. Le racisme ne devient que progressivement une stratégie de radicalisation des altérités, basée sur des préjugés, pour justifier une hiérarchie de groupes ciblés, légitimer une domination, une compétition pour le contrôle des ressources économiques, politiques, sociales.

L'occasion de comprendre en quoi, par la suite, le racisme acquiert son sens contemporain dans le développement du racisme scientifique, dans le monde occidental, entre la fin du XVIIIe siècle et le début du XIXe siècle, dans le sillage des scientifiques européens de l'époque qui se fondent sur l'anthropologie physique pour démontrer un préjugé d'infériorité vis-à-vis des personnes de couleur.

Nous allons voir comment les racismes s'adaptent toujours et comment fantasmes, manipulations, croyances utilisent souvent les atours de la rationalité pour imposer les idées et les pratiques racistes.