Natalie Dessay, soprano : grand entretien

Natalie Dessay nous reçoit dans sa maison sur les bords de la Marne dans laquelle elle aime recevoir et faire de la musique avec ses amis et sa famille. Mariée au baryton-basse Laurent Naouri qui est son complice et son allié sur la scène comme à la ville, entourée de ses enfants et de ses chats, elle nous parle de ce cocon, véritable point d'ancrage dans une vie d'artiste parfois solitaire et épuisante.

Lorsqu'elle est toute jeune, Nathalie Dessaix (elle n'avait pas encore changé l'orthographe de son nom) est débordante d'énergie, faisant du piano et surtout de la danse. Avec ses parents, elle fréquente le cirque, les spectacles de ballet : elle veut être danseuse ! Plus tard, vers 18 ans elle abandonne le tutu pour les cours de théâtre du Conservatoire de Bordeaux : elle travaille les pièces classiques, mais aussi Marivaux et Jean Genet. Et le chant dans tout ça ? Elle le commence par hasard avec une dénommée Josiane Saintrais, bouchère-charcutière... !

Les premières voix que Natalie Dessay entend au disque sont celles de Maria Callas, Montserrat Caballe et Kiri Te Kanawa. Celle de Maria Callas, notamment, lui procure un véritable choc émotionnel. Au cours de sa deuxième année de théâtre à Bordeaux où elle doit chanter l'air de Pamina lors d'une scène, ses amis lui conseillent de prendre des cours de chant. Sa voix à l'époque est légère et on lui reproche de chanter trop "variété".

Ses premiers revers au théâtre lui confortent dans l'idée de se consacrer pleinement au chant. Parallèlement, elle se joint au chœur de l'Orchestre du Capitole de Toulouse. Mais rapidement, l'envie d'être soliste prend le dessus. Lorsqu'elle accède à la finale du concours de chant Voix Nouvelles, elle est repérée par un agent. Les choses sérieuses commencent…

La rencontre avec Jean-Pierre Blivet est décisive. Avec lui, elle travaille la respiration, la production du son, la technique vocale dans son ensemble, dans le but d'ouvrir la voix et de gagner en projection. Les premiers engagements arrivent, Liège, Compiègne, puis Paris, dans des rôles de soprano léger.

A Vienne, elle est engagée dans la troupe de l'opéra en 1992 pour toute la saison. Elle y incarne notamment Blondchen (L'Enlèvement au Sérail de Mozart), Sophie (Le Chevalier à la Rose de Strauss) et Olympia (Contes d'Hoffmann d'Offenbach) où elle partage la scène avec Placido Domingo, marquant le début de sa carrière internationale.

La voici maintenant au Metropolitan Opera de New York, sous la direction de James Levine où elle campe le rôle périlleux de Zerbinette d'Ariane à Naxos de Strauss. Lors des tournées, les problèmes pratiques s'imposent : où se loger ? Où travailler ? La vie à l'étranger est paradoxale entre les moments de solitude et les moments de représentations hors de la scène comme les séances d'autographe : "Je trouve ça toujours un peu étrange. [...] À la fois ça me fait plaisir que les gens viennent vous dire à la fin qu'ils ont aimé ce que vous avez fait et à la fois on se sent comme un objet."

Par ailleurs, son répertoire s'étend à la musique baroque, Haendel, Rameau. Elle rencontre notamment Emmanuelle Haïm et William Christie. Parmi ses grands rôles, on peut citer celui de la Reine de la Nuit dans La Flûte enchantée de Mozart, notamment dans la production de Robert Carsen à Aix-en-Provence en 1994 sous la direction de William Christie. Elle se souvient également du rôle titre de Lucia de Lammermoor de Donizetti dans la mise en scène d'Andrei Serban ou du Rossignol de Stravinsky sous la direction de Pierre Boulez.

Au début des années 2000, Natalie Dessay commence à éprouver des problèmes vocaux à un moment où elle chante beaucoup et où sa vie de famille est reléguée à l'arrière-plan. Dans les rôles de bel canto italien qu'elle aborde, Natalie Dessay estime que la voix est vraiment traitée comme un instrument soliste, avec un rôle de leader, presque davantage que le chef. Pour approfondir ce répertoire, elle consulte Renata Scotto avec qui elle travaille la ligne de chant, le legato, l'ornementation, et le phrasé belcantiste.

Natalie Dessay se confie également sur le défi de la scène. C'est précisément pour cette raison qu'elle met un terme à sa carrière lyrique en 2013*.* Revenir au mot, au théâtre, avoir une plus grande liberté créatrice, voilà les souhaits de Natalie Dessay pour sa deuxième vie. Elle aborde le répertoire de la comédie musicale, de la chanson de variété française et aussi le théâtre. La pièce Und de Howard Barker mis en scène par Jacques Vincet la marque profondément.

Natalie Dessay revient sur sa deuxième carrière au théâtre. À Paris, elle apparaît dans La Légende d'une vie de Stefan Zweig. Elle joue aussi dans Hilda et Un pas de chat sauvage de Marie NDiaye. Elle apprend beaucoup de ses "camarades" comédiens et des metteurs en scène. Au théâtre, elle découvre avec plaisir une plus grande marge de liberté.

Avec Michel Legrand, Natalie Dessay donne plusieurs concerts et interprète ses chansons. Elle apprend à chanter avec le micro, un exercice très différent par rapport à la scène lyrique. Cette rencontre avec Michel Legrand est cruciale. D'autres collaborations vont la marquer, celle avec Yvan Cassar, arrangeur de Claude Nougaro ou avec le pianiste Philippe Cassard pour des récitals de mélodies françaises ou de lieder.