Peut-on parler de conflits génocidaires et de crimes contre l’humanité en cours dans le monde ? Plusieurs plaintes déposées auprès des juridictions internationales l’affirment et alimentent les débats déjà furieux. Comment prévenir et condamner de tels actes ? Sur quels principes ?
- Philippe Sands Avocat et écrivain
Guillaume Erner reçoit l'écrivain et avocat franco-britannique Philippe Sands, dont l'ouvrage Retour à Lemberg (Albin Michel, 2017) reparaît cette semaine sous forme de bande dessinée aux éditions Delcourt (scénario Jean-Christophe Camus et dessin Christophe Picaud).
Revenir aux origines pour comprendre
Dans cette enquête juridique et historique, Philippe Sands revient à la fois sur son passé familial et sur la naissance des notions de génocide et de crime contre l’humanité. Comme un récit croisé entre l’intime et le collectif qui permet aussi de comprendre les tensions de notre temps. L’avocat nous raconte la genèse de cet ouvrage, en 2010, alors qu’il est convié par l’université de Lviv à faire une conférence : "Mon grand-père maternel est né à Lviv en 1904, mais je ne connaissais rien de l’histoire de cette ville. En préparant mon intervention, je découvre que les deux hommes qui ont inventé les termes crime contre l'humanité et de génocide, en 1945, sont également originaires de cette ville." Il décide alors d’explorer ces liens, l’occasion aussi de retracer son parcours familial. Un travail qui trouve aujourd’hui un nouvel écho : "Entre 2010 et 2016, quand le livre a été publié, les notions de génocide et crime contre l’humanité étaient relativement absentes des débats à la radio, à la télévision et dans les médias. Aujourd’hui, elles jouent un rôle central dans les guerres entre la Russie et l'Ukraine et entre l'Israël et la Palestine. À mon avis, il faut toujours revenir sur les origines de ces termes pour comprendre leur sens."
Faire la part des choses
Les termes ont en effet resurgi au cœur des débats sur le conflit en cours à Gaza. Des affrontements qui aujourd’hui divisent profondément les campus universitaires, notamment à Harvard où Philippe Sands a enseigné durant plusieurs semaines. Manifestants pro-Palestine et pro-Israël s'opposent notamment sur les chants et expressions utilisés, comme "Un pays unique de la mer au Jourdain" qui serait pour certains une manière de nier l’existence d’Israël. En réalité, "les deux côtés utilisent les mêmes termes, affirme Philippe Sands. Monsieur Netanyahou a aussi usé de cette expression en anglais 'from the river to the sea'. Personnellement, je trouve cette expression ni anti-palestinienne ni antisémite. Elle exprime simplement des revendications territoriales des deux côtés." Pour l’avocat d’origine juive et conseiller pour la Palestine notamment auprès de la Cour de justice internationale, "critiquer les actes d’un pays n’est pas un acte antisémite ou islamophobe. Sur le même principe, je suis très souvent amené à plaider contre le Royaume-Uni, en ce moment par exemple dans une affaire pour l'île Maurice concernant les îles du Chagos dans l'océan Indien. Cette position ne me fait pas pour autant anti-britannique." Une distinction est donc à faire entre l’opposition à un pays et l’opposition aux actes de ce dernier pour faire respecter le droit.
Israël sur le banc des accusés
Appelé à statuer sur les conflits, le pouvoir juridique se retrouve dans la tourmente politique. Les accusations portées devant les juridictions internationales sont-elles fondées ou instrumentalisées ? Une question qui se pose alors que l’Afrique du Sud a porté plainte contre Israël devant la Cour internationale de Justice pour intentions génocidaires sur les Palestiniens. D’aucun voient dans le reproche d’un génocide à Israël, une inversion mémorielle scandaleuse. Philippe Sands nous explique cette affaire. "Le droit international compte trois grands crimes : crimes de guerre, contre l'humanité et de génocide. Pour des raisons historiques, le seul moyen d'arriver devant la Cour internationale de Justice, c'est de caractériser les crimes comme génocide. C’est ce qu’a dû faire l'Afrique du Sud pour ramener devant la Cour le cas de Gaza." En réponse, la Cour a émis deux ordonnances appelant à prendre les mesures nécessaires pour éviter un risque de génocide, sans pour autant exiger la fin des hostilités. Sur le fond de l’accusation, il faudra encore attendre quelques années.
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