Une histoire du suffrage universel
Sélection. A l'instar du multipartisme et de la liberté d’expression, le suffrage universel est un des éléments fondamentaux de la démocratie. Une sélection d'émissions pour découvrir l'histoire complexe de cette conquête, et les nombreux obstacles auxquels son instauration s'est heurtée depuis 1789.
Pour retrouver tous les contenus de cette sélection dans l'application Radio France, un clic juste en dessous 👇
Une histoire du suffrage universel
"Un homme, une voix". Tel est le principe du suffrage universel, devenu à nos yeux l'une des - si ce n'est la - conditions premières de la démocratie. Historiquement, cette équation n’a pourtant rien d’une évidence. Dans l'ensemble des sociétés européennes, il a fallu des siècles de réflexion et de luttes pour qu'il s’impose enfin sur les anciennes représentations du pouvoir et les façons de l'attribuer. En France, le suffrage universel est une conquête populaire que l’on peut dater avec exactitude : il a été instauré par décret le 2 mars 1848. Mais avant cette date, il s’est heurté à de nombreuses résistances. Et aujourd’hui, si l’on en juge par les taux d’abstention qui marquent un nombre croissant d'élections, le vote n’apparaît plus comme le mode d’expression privilégié du pouvoir citoyen.
Cette sélection d’émissions propose de revenir sur l’histoire du suffrage universel, de comprendre comment il a apporté une conception radicalement neuve de la politique, de la citoyenneté et de l'expression de la volonté collective, avant d'examiner son rôle dans la crise contemporaine de la démocratie représentative.
De la démocratie athénienne à 1789
"A voté !" Individuel, confidentiel, accompagné d'un rituel, celui de glisser un bulletin dans une enveloppe, un isoloir et une urne, le vote apparaît depuis presque deux siècles comme la clé de voûte de notre système démocratique. Pourtant, l’élection n’a pas toujours été tenue comme le moyen le plus équitable, le plus efficace, ni le plus transparent, de désigner ceux qui devaient contribuer à la fabrication de la loi. Longtemps, d’autres systèmes ont été jugés plus appropriés, qu’il s’agisse de l’hérédité, de la cooptation ou… du tirage au sort.
- 1. Avant le vote, la désignation par tirage au sort
Au IVe siècle avant Jésus Christ, Aristote écrivait : "Il est considéré comme démocratique que les magistratures (les emplois publics) soient attribuées par le sort, et comme oligarchique qu’elles soient électives." Ainsi, la Grèce antique a largement pratiqué le tirage au sort des dirigeants. Ensuite, au Moyen Âge et à la Renaissance, ce mode de désignation a été remis à l’honneur selon des modalités variées, en particulier à Florence et à Venise, Dans cette émission, l’historien Olivier Christin évoque l’histoire du vote avant le suffrage universel et pose la question de la valeur démocratique du tirage au sort. ( Concordance des temps, 59 min)
- 2. Comment fonctionnait une élection pontificale au Moyen Age ?
On présente souvent la démocratie moderne comme héritière en ligne directe de la Grèce de Clisthène et de Périclès. Pourtant, au Moyen Âge, si le vote n’est encore pas considéré comme la meilleure façon de procéder à la décision politique, de nombreuses élections ont lieu sous cette forme dans les communes, les parlements, les états généraux, les confréries ou corporations, les universités et les académies… et bien sûr les conclaves. L'Eglise catholique invente l’élection des souverains pontifes en fonction de la maior et sanior pars : soit le plus grand nombre et la partie la plus sage, la plus âgée, ou la plus reconnue pour sa moralité, des cardinaux votants. Cette courte chronique évoque l'histoire surprenante des élections pontificales, et cette question qui traverse toute l'histoire du vote jusqu'à l'instauration du suffrage universel : quel poids attribuer à quelle voix ? ( Petit précis d'histoire à l'usage des candidats à l'élection présidentielle, 5 min)
- 3. Comment les procédures de vote ont-elles évolué au cours de l'histoire ?
Nous considérons aujourd'hui comme une évidence que toutes les voix se valent, selon le principe "un homme égale une voix". De cette addition de voix jaillit la volonté générale, qui est égale à 50% des voix plus une. Mais sous l’Ancien Régime, si le recours au vote est fréquent, tous les votants ne sont pas égaux entre eux. La voix d’un duc ne vaut pas celle d’un paysan, et celle d’un abbé celle d’un archevêque. Cette table ronde réunit quatre historiens qui expliquent les liens qui unissent vote et démocratie au cours de l'histoire. ( La Fabrique de l'histoire, 52 min)
La Révolution française
De 1789 à la fin du XIXᵉ siècle, la question du suffrage universel est au centre des affrontements politiques et des débats intellectuels : elle suscite les passions. Afin de délivrer le citoyen de l’ascendant de ses tuteurs d’Ancien Régime - le prêtre et le seigneur - la Révolution déplace le lieu du vote de la paroisse au canton. Mais le vote révolutionnaire reste un vote d’assemblée. Et la femme, le mineur et le domestique sont écartés des urnes. Ceux que le peuple désignait étaient les membres d’une assemblée élective, des "grands électeurs" qui allaient ensuite nommer leurs représentants. Au XVIIIe siècle, la classe politique dans son ensemble se méfie du suffrage universel. Les révolutionnaires finirent par dissuader la population de participer au processus électoral et transformèrent le système électif en un système de cooptation. Leurs adversaires de leur côté y sont également hostiles, craignant que le peuple, mû par un esprit de classe, se porte sur les partis qui auraient comme programme de leur ôter leurs privilèges.
- 4. Les Etats généraux de mai 1789
Depuis le 6 mai 1789, les 1 177 députés convoqués par le roi sont sommés de résoudre la grave crise financière qui secoue le royaume de France. Mais avant d'entrer dans le vif du sujet, ces derniers se livrent à une bataille acharnée sur des questions de procédure électorale. Le Tiers Etat réunit 663 députés - soit deux fois plus que ceux représentant la noblesse et le clergé, mais qui est toujours une sous-représentation par rapport à son poids réel dans la société, soit plus de 98%. Mais surtout, cette supériorité numérique n'assure aucun poids supplémentaire aux élus du peuple dans les décisions. En effet, les votes sont comptés par ordre et non par individu, ce qui, compte tenu de l’alliance du clergé et de la noblesse, réduit le Tiers Etat à l’impuissance. Cette courte chronique retrace la façon dont le vote par tête est devenu l’enjeu politique principal des Etats généraux de 1789. ( Prendre le pouvoir par le vote en 1789, 6 min)
Le XIXe siècle
Suite au décret instaurant le suffrage universel masculin signé le 5 mars 1848, la première assemblée élue selon son principe est l’Assemblée constituante du 23 avril 1848. Par la suite, Napoléon III qui rétablit l’Empire, n’osa pas l'abroger et sut même s’en servir pour se faire plébisciter. Mais au sortir du Second Empire, les conservateurs redoutent le suffrage universel et il est de nouveau menacé. Jusqu'à ce qu'en janvier 1875, l’assemblée proclame la IIIe République et qu'il soit définitivement établi. A l’exception des femmes qui en resteront écartées jusqu’en 1944.
- 5. Suffrage universel : des débuts chaotiques
Le suffrage universel est une conquête démocratique que l'on peut dater avec précision : en février 1848, le peuple de Paris s’oppose à la Monarchie de Juillet et l’impose par la contestation de la rue. Depuis lors, la souveraineté du peuple se réalise par le biais du suffrage universel, direct et secret. Mais l'histoire de celui-ci commence mal. Premier président de la République élu au suffrage universel, Louis-Napoléon Bonaparte renverse la République trois ans après son élection par un coup d'État qui, en décembre 1851, rétablit une monarchie autoritaire, le Second Empire. Cette émission propose d'analyser, comment à partir de cet épisode historique, une méfiance à l’égard du suffrage universel s'est instaurée alors au sein de la classe politique française, y compris parmi sa frange la plus républicaine. ( Napoléon III, le prince président, 27 min)
- 6. Femmes, ouvriers, étrangers : qui sont les exclus de la citoyenneté au XIXe siècle ?
Au cours du XIXe siècle, plusieurs régimes n’appliquent pas le suffrage universel. Le suffrage censitaire tel qu’il est appliqué sous la Restauration et sous la Monarchie de Juillet implique que beaucoup de Français qui n’ont pas le droit de vote vont trouver d’autres moyens de faire de la politique. Cette émission propose de comprendre comment le suffrage universel – encore exclusivement masculin – a fait peur à toute une frange de la classe politique, qui a trouvé les moyens d’exclure les classes populaires, ouvriers et artisans… et les femmes qui n'accéderont au droit de vote qu'en 1944. ( La Fabrique de l'histoire, 52 min)
La Ve République
- 7. 1944. Le droit de vote accordé aux femmes
La France, pays de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et du citoyen, a tardé à accorder le droit de vote aux femmes. Après la Finlande, la Norvège, le Danemark, l'Islande, l'Allemagne, l'Estonie, la Lettonie, la Pologne, la Lituanie, le Royaume-Uni ou encore la Bulgarie… c'est le 21 avril 1944 que Charles de Gaulle signe l'ordonnance accordant le droit de vote aux femmes. Un an plus tard, le 29 avril 1945, les femmes ont pu voter pour la première fois lors des élections municipales. En janvier 1993, Patrice Gélinet retraçait dans un documentaire, l'histoire de cette lutte ardue, des projets de loi rejetés au Sénat jusqu'à l'émotion du premier vote en 1945. ( L'Histoire en direct, 59')
- 8. La règle majoritaire en question
On désigne sous le nom de règle majoritaire le principe selon lequel la volonté du plus grand nombre peut être considérée comme l’expression de la volonté collective, et par conséquent qu’elle s’impose à la minorité. Remontant au Moyen Âge et à l’élection des souverains pontifes, elle a été au cœur de la modernisation de la politique et de la naissance de nouvelles institutions, comme les communes ou les universités. Mais ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle qu’elle a véritablement triomphé, et a été considérée comme l’un des fondements les plus solides et incontestables des démocraties modernes. Depuis le début du XXIe siècle, la règle majoritaire suscite critiques et interrogations : on lui reproche de condamner les minorités au silence, voire de faire disparaître celles-ci de certaines assemblées et de la représentation nationale. ( Petit précis d'histoire à l'usage des candidats à l'élection présidentielle, 5 min)
- 9. La crise de l'élection démocratique au XXIe siècle
En 2019, l'historien Pierre Rosanvallon, professeur au Collège de France, spécialiste de la démocratie et du vote, s'attache à décrypter le moment de crise démocratique que traverse la société française, et ce qu'il appelle "l'épuisement de la performance démocratique de l'élection dans nos sociétés" en s'attachant en particulier à analyser les mouvements sociaux comme celui des Gilets jaunes et les sentiments de ceux qui se sentent exclus du vote. ( L'Invité des matins, 29 min)
- 10. Comprendre le phénomène de l'abstention
Le système électoral en France connaîtrait aujourd'hui des records d'abstention : des niveaux dépassant les 50% voire 70% aux régionales et aux départementales de 2021. Avec pour conséquence négative des inégalités de voix - c'est en effet un profil de plus en plus restreint d’électeurs qui s’exprime dans les urnes. Mais si l'abstentionnisme a longtemps été considéré comme un défaut d'intégration sociale, ce n'est plus le cas aujourd'hui. Pour les sociologues, il apparaît que pour les jeunes générations en particulier, le vote n'est plus considéré comme un élément central de la citoyenneté mais une manière comme une autre de participer au jeu politique. Cette émission analyse la façon dont pour la génération dite des Millennials, une déconnexion s’opère entre conscience politique et vote. ( La Grande Table idées, 33 min)
Références