Alors qu’elle publie son dixième roman, “Plus grand que le ciel”, Virginie Grimaldi revient sur ce qui nourrit son imaginaire et ses méthodes de travail, qui lui permettent de toucher un public de plus en plus vaste, avec déjà plus de sept millions d’exemplaires vendus en France.
- Virginie Grimaldi Ecrivaine
À première vue, le destin de Virginie Grimaldi, l'une des plumes les plus lucratives de l'Hexagone, devant Bernard Minier, Michel Bussi, Joël Dicker ou encore Marc Lévy, est bien différent de celui de ses héroïnes, souvent des jeunes femmes de la classe moyenne, aux prises avec les failles de l’existence qui menacent de nous engloutir. Pourtant, c’est dans sa propre vie que la romancière puise la matière de ses romans, que ce soit la perte d’un enfant dans Et que ne durent que les moments doux (2020), ou l’Alzheimer précoce de son père dans Les Possibles (2021). C’est précisément là, dans sa capacité à tisser des récits universels à partir de l’intime, que s’origine l’immense succès de celle qui, louée pour son empathie et son humanité, a fait de sa sensibilité émotionnelle exacerbée le terreau de son écriture. Il aura fallu pourtant bien des années avant que la petite fille qui se rêvait écrivaine ne prenne la plume, une vocation inspirée par sa grand-mère qui lui a légué des carnets emplis de poésie, et son pseudonyme d’écriture, Grimaldi. Entrée en écriture d’abord sur internet, notamment via un blog intitulé "Femme Sweet Femme" dans lequel elle postait quotidiennement des petits textes pleins d’humour sur sa vie de trentenaire, Virginie Grimaldi franchit le cap du roman en 2015 avec Le Premier jour du reste de ma vie. Un premier titre programmatique : depuis, l'écrivaine a signé dix romans, tous des best-sellers, parmi lesquels Il est grand temps de rallumer les étoiles, élu livre préféré des Français, devant le manga One Piece et Harry Potter.
Elle revient aujourd’hui dans les rayonnages des librairies avec Plus grand que le ciel, un roman qui puise de nouveau dans son histoire personnelle, puisqu’il fait suite au décès de son père, après son combat contre la maladie d’Alzheimer. Le temps d’un grand entretien, Virginie Grimaldi nous entraîne dans la fabrique de son œuvre.
S'autoriser à écrire
Avant d’arriver dans les devantures des librairies, Virginie Grimaldi a d’abord "affuté [s]on style, [s]a plume et [s]on humour" grâce à son blog, "Femme Sweet Femme", dans lequel elle postait quotidiennement des petits textes pleins d’humour sur sa vie de trentenaire, sous le pseudonyme de Ginie. Un exercice d’écriture qui lui a enseigné le sens du rythme raconte-t-elle, et lui a valu de nombreux retours de lecteurs, qui l’ont encouragé à "oser, [s]e lancer et persévérer".
En 2014, une de ses nouvelles, La Peinture sur la bouche, remporte le deuxième prix d’Écrire Au-féminin. L’année suivante, une amie lui envoie un lien vers un appel à manuscrits, sur un thème imposé, auquel elle répond : cela donnera naissance à son premier roman publié, Le premier jour du reste de ma vie, qui paraîtra chez City Éditions en 2015. La romancière raconte le moment d’après, celui où il fallut écrire le deuxième :
"Mon rêve réalisé, j'étais persuadée que ça n'irait pas plus loin. L'écriture du deuxième roman s'est faite assez naturellement, de la même manière que tous les autres, car, de toute manière, que ce soit publié ou pas, j'écris des histoires dans ma tête depuis toujours. J'ai un monde imaginaire très dense, on est plusieurs dans ma tête, donc les idées sont très présentes, elles vivent avec moi."
Dans la fabrique des personnages grimaldiens
Romancière de l'émotion, Virginie Grimaldi a prouvé d'un livre à l'autre sa capacité à se glisser avec beaucoup de justesse dans la peau de ses personnages. Quel rapport entretient-elle avec eux ?
"Je n'ai pas une biographie très détaillée de ce qu'ont traversé mes personnages, mais ils existent en tant que tels et ils mangent à ma table le soir. Ils vivent avec moi pendant les mois d'écriture. Une fois que j'ai terminé, je repense à eux et je me demande parfois ce qu'ils sont devenus. Il m'arrive d'ailleurs d'en recroiser dans certains romans et de prendre de leurs nouvelles."
"Parfois, je lis des avis de personnes qui disent ne pas avoir réussi à s'attacher aux personnages. Mais je ne sais pas si on a toujours besoin de s'attacher à eux. En tout cas, j'essaie de faire en sorte que mes personnages aient du relief et des défauts, qu'on ne soit pas toujours d'accord avec eux. Et j'essaie aussi, modestement, de faire entrer des valeurs dans mes textes, des valeurs qui me sont chères pour ouvrir les horizons des lecteurs. C'est important pour moi, même si je ne me sens pas du tout la vocation de passer des messages."
Ecrire pour figer le temps
Les questions liées au couple, à la famille, à la maternité, aux changements de vie, mais aussi aux maladies mentales, à la maltraitance, à la vieillesse et bien sûr au deuil sont au cœur de la littérature de Virginie Grimaldi. Le motif du temps qui passe, qui recoupe toutes ces questions, est le "sujet principal" de la romancière, comme elle nous le confie, celui qui "[l]'obsède au quotidien" :
"J'écris pour figer le temps, pour ne pas oublier l'intensité des émotions ressenties à certains moments. Et ça part toujours d'une idée qui m'est dictée par l'intime, par ce que je vis et ce dont je suis témoin dans mon cercle proche. Tous mes romans ont une grande part de personnel. Parfois ça part juste d'une émotion d'ailleurs, d'une peur que j'ai envie d'exorciser. Viennent ensuite les personnages, l'intrigue et l'angle que j'ai envie de prendre. Tout ça se construit naturellement, mais l'idée de départ est toujours très vague. C'est vraiment un point de vue."
Figer le temps et coucher les souvenirs pour empêcher leur disparition, telle est de nouveau l’ambition de la romancière lorsqu’elle s’attèle à son dixième et dernier roman, Plus grand que le ciel, qu’elle écrit suite au décès de son père, après son combat contre la maladie d’Alzheimer :
"J'avais besoin d’écrire à mon père parce qu'il me manquait et je crois que c’est parce que c'était trop douloureux que les personnages se sont invités, pour apporter un peu de légèreté. C'est devenu un roman, ce qui m'a permis de mettre de la distance. Tous les passages où Elsa parle de son père m'ont été inspirés par ce que j'ai vécu, mais toute l'intrigue qui concerne sa rencontre avec Vincent et leur relation est issue de mon imagination. C'est ma carapace, ce qui me protège."
Plus grand que le ciel semble ouvrir un nouveau chapitre de son œuvre, qui pourrait bien changer l’image que certains peuvent avoir de la romancière, comme autrice de feel good book ou de papesse de la chick lit, terme péjoratif pour désigner les romans écrits par des femmes à destination du public féminin.
"En écrivant 'Plus grand que le ciel', j'avais cette gravité, ce chagrin même. J'ai l'impression d'être allée puiser plus profondément en moi, de m'être moins interdite cette gravité-là, même si je ne me la suis jamais vraiment interdite. Simplement, je la ressentais tellement fort qu'elle perle sans doute davantage dans les pages. J'ai l'impression d'évoluer. Chaque année, il y a la vie avec ses épreuves, avec ses joies. J'ai l'impression de devenir une autre personne. Je n'écrirais plus du tout mon premier roman pareil. Je perds un peu de légèreté au fil des années et donc ça se retrouve forcément dans mes livres. Je suis heureuse quand même de ne pas perdre totalement mon humour. Je crois que je suis incapable d'écrire un livre dans lequel je ne me fais pas rire en écrivant et dans lequel je ne fais pas rire les lecteurs parce que ça, ça fait vraiment partie de mon caractère. Mais en effet, je crois que celui-là marque un tournant."
Plus d'informations sur son actualité :
- Le nouveau roman de Virginie Grimaldi, Plus grand que le ciel, a paru le 1er mai 2024 chez Flammarion.
Présentation de l'éditeur : "Elsa et Vincent se croisent chaque mercredi dans la salle d’attente de leur psychiatre.
Elle est écorchée et mordante. Il est rêveur et intranquille.
Elle est conseillère funéraire. Il est romancier.
Elle vient de perdre son père. Il cache sa plus grande blessure.
Elle est en retard. Il est en avance. Ils ont pourtant rendez-vous.
Entre deux éclats de rire, Virginie Grimaldi capte ces instants fragiles où l’empreinte des souvenirs se mêle aux promesses d’une rencontre."
Sons diffusés pendant l'émission :
- Marc Levy dans "Affaires Culturelles" en mai 2022.
- Leïla Slimani lors de sa Masterclasse France Culture, animée par Louise Tourret, en 2021.
- Marguerite Yourcenar au micro de Jacques Chancel dans “Radioscopie” en juin 1979.
- Le choix musical de Virginie Grimaldi : Grace de Jeff Buckley.
Le Son du Jour : “Get Lit” de Kamasi Washington, avec George Clinton et D Smoke
Après Shabaka Hutchings, il y a quelques semaines, c'est Kamasi Washington, un autre grand modernisateur du jazz qui marque l'année d'un nouvel album. Ou plutôt d'un double-album car, comme à son habitude, le saxophoniste d'Inglewood ne fait pas dans la demi-mesure.
Révélé en 2015 avec The Epic, triple-album à l'ambition colossale, Kamasi Washington porte depuis lors l'héritage des avant-gardistes Sun Ra, Pharoah Sanders et John Coltrane. Alors que son précédent album Heaven and Earth, météore afro-futuriste, confirmait sa personnalité gargantuesque, Fearless Movement, titre de ce nouvel opus, se rapproche de la finitude terrestre avec l'expression primaire de la danse en point de mire. En 86 minutes de groove et avec des invités en pagaille, Kamasi Washington s'emploie à faire de la fusion (du funk, du jazz, du hip hop, de la soul), le terreau fertile d'un royaume où règne l'abondance. Un royaume dont il serait le maître. Écoutez plutôt le morceau Get Lit, en featuring avec George Clinton et le rappeur D Smoke. C’est notre son du jour.
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